En avant-première, Jean-Luc Baudouin, ingénieur Cap’Tronic(*) et co-rédacteur du guide « Choisir un OS embarqué », nous livre son expertise sur les systèmes d’exploitation embarqués dédiés aux objets connectés et sur l’importance d’un choix judicieux pour mieux maîtriser son time-to-market.
Parmi les leviers de croissance à disposition des PME, les technologies numériques permettent de développer des objets « smart » et différenciés de la concurrence. Entre autres technologies mobilisées, le logiciel embarqué tient une place particulière en tant que véritable matière grise du produit. Le choix judicieux du système d’exploitation embarqué dans les produits conditionne un time-to-market mieux maîtrisé et des équipes de développement plus ambitieuses. Ce n’est pas un détail à l’heure où les dirigeants de PME sont sommés d’être visionnaires et de relever les défis technologiques actuels.
Doit-on encore réinventer l’eau tiède ?
De nombreuses PME s’interrogent encore sur l’opportunité d’un système d’exploitation embarqué. Un OS leur paraît surdimensionné pour les besoins du produit qu’elles proposent. Effectivement, si le produit est simple, sans interface, sans connectivité, sans évolution prévue, il est inutile de s’interroger plus longtemps. Une fourchette n’a pas besoin d’OS !
C’est pourquoi, dès que le produit communique et interagit avec son utilisateur, la question d’un OS embarqué doit se poser. Car par nature, il sera rapidement amené à évoluer. Pour une PME dont la culture est celle de la maitrise intégrale du code sans s’appuyer sur des briques tiers, il peut apparaître naturel de démarrer sans système d’exploitation et lui préférer le développement d’une application spécifique en interne. Ce choix se confronte de plus en plus à la réalité d’une évolution rapide des fonctions connexes au cœur de métier, tirées par l’électronique grand public : intégration de multiples protocoles de communication, intégration de votre produit avec des smartphones et tablettes, écran embarqué dont les attentes ergonomiques sont proches des smartphones…
L’expérience montre qu’en général les équipes développant sans OS aboutissent au développement d’un gestionnaire de tâche proche d’un OS spécifique, fruit d’un travail de programmation considérable mais dont le résultat s’éloigne des attentes. Le système reste limité en fonctionnalités faute de temps ou d’argent. Il manque d’évolutivité et devient vite coûteux à maintenir. A défaut de pouvoir se concentrer sur son cœur de métier, l’entreprise connait d’importants retards de mise sur le marché, propose des technologies dépassées très lourdes à maintenir, quand elle ne choisit pas d’abandonner.
Un OS au service de l’agilité d’une PME sur des marchés imprévisibles
C’est un résultat d’autant plus malheureux qu’il aurait été possible de l’éviter en s’appuyant sur l’offre riche des OS embarqués. Car le premier grand avantage d’un système d’exploitation est bien de permettre une évolution rapide et maitrisée des fonctions d’un produit. C’est absolument déterminant sur un marché de plus en plus évolutif et dont il est impossible de saisir tous les contours. Par ailleurs, les utilisateurs feront nécessairement des retours, parfois immédiats, et seront demandeurs de fonctionnalités supplémentaires.
L’OS embarqué fournit le socle stable qui accueillera l’ensemble des briques technologiques tierces nécessaires, mais il permet aussi de réduire drastiquement le temps d’évolution du produit, en particulier sur des modifications touchant le temps réel, l’introduction d’un nouveau capteur, la mise au point de nouveaux algorithmes de traitement et l’intégration de fonctions de connectivité et d’interface homme-machine.
En pratique, les équipes de développement constatent un temps d’évolution au moins divisé par deux sur les produits embarquant un système d’exploitation, ceci quand, en l’absence d’OS, elles ne se heurtent pas à des cas de régression et des difficultés de stabilisation.
C’est aussi en termes d’efficacité des équipes que se mesurent les bénéfices d’un OS embarqué. L’environnement de développement et de débogage performant associé à un OS porté par une communauté experte et référente est un atout considérable pour la performance de la PME et de ses équipes.
Faire de ses équipes de développement de logiciel embarqué les “neurochirurgiens” de ses produits
Au-delà de ces importantes considérations technologiques, l’autre grand atout d’un OS embarqué est son effet structurant sur toute l’équipe de développement. Si la gestion des compétences au sein d’une PME impacte la réussite de l’entreprise, le choix de l’OS le plus adapté à ses produits participe de cette bonne gestion. Il entraine de facto l’introduction des équipes de développement dans un écosystème très dynamique (Linux, Androïd, Windows, VxWorks…) et structure les conditions d’interaction et de coordination. Peu à peu, les équipes et leurs membres se fédèrent autour de la technologie choisie.
Elles développent des modèles de programmation communs et glissent progressivement d’une culture du développement (qui n’est pas l’objectif poursuivi et tend à éloigner la PME de son cœur de métier) vers une culture d’’intégration logicielle. Capables d’absorber les évolutions technologiques au bénéfice d’un produit plus évolutif dans un time-to-market contraint, les équipes sont alors capables de maitriser la complexification du design.
Il est également important de trouver un compromis entre l’efficacité des équipes et la satisfaction qu’elles auront à travailler sur l’OS sélectionné. L’équipe logicielle doit être regardée comme le “neurochirurgien” du produit. En lui proposant un environnement technologique puissant et adapté aux problématiques technico-économiques, elle saura être ambitieuse et capable d’offrir au produit le meilleur des technologies de demain.
De cette analyse, il ressort que le choix de l’OS embarqué est tout à fait déterminant dans la réussite ou l’échec du produit mis sur le marché et plus largement des équipes informatiques et de l’entreprise à moyen et long terme.
Jean-Luc Baudouin, ingénieur Cap’Tronic et co-rédacteur du guide « Choisir un OS embarqué »
* Fondée par le CEA et Bpifrance, et financée par le ministère de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique, l’association Jessica France est chargée de la mise en œuvre du programme Cap’tronic. Celui-ci a pour objectif d’aider les PME françaises, quel que soit leur secteur d’activité, à améliorer leur compétitivité grâce à l’intégration de solutions électroniques et de logiciel embarqué dans leurs produits.
En 2014, Cap’tronic a aidé 2 900 PME appartenant aussi bien au secteur électronique qu’aux secteurs traditionnels.