Aujourd’hui, les véhicules sont truffés de logiciels et de systèmes électroniques sophistiqués, qui ont de nombreux effets bénéfiques sur leurs performances. L’importance croissante de ces logiciels et systèmes modifie radicalement la façon dont les constructeurs automobiles en évaluent les avantages et les risques. Par exemple, les systèmes de conduite autonome améliorent certainement le niveau de sécurité, mais ils transfèrent également aux constructeurs le risque qu’assumaient auparavant les conducteurs. Parallèlement, l’abandon de certains systèmes mécaniques dans les véhicules électriques (VE) modifie la conception que l’on a de la durabilité des véhicules. Et la plus grande dépendance vis-à-vis de l’électronique présente des défis en matière d’approvisionnement en raison de l’extension du réseau de fournisseurs.
Pour pouvoir rester compétitifs et suivre ces dynamiques de marché évolutives, les constructeurs automobiles devront accélérer la transformation numérique de leurs outils et flux de travail à mesure qu’ils passeront d’une définition mécanique des véhicules à des véhicules définis par logiciel (SDV).
Trois tendances permettent de mieux comprendre ce changement dans l’industrie automobile : l’essor des groupes motopropulseurs pour VE, la prolifération des fonctionnalités de conduite semi-autonome et l’extension de la numérisation au domaine de la fabrication. À l’instar des produits eux-mêmes, qui voient converger le matériel et les logiciels, les processus devraient également évoluer et devenir plus numériques dans les domaines de la conception, de la fabrication et de l’entretien des véhicules.
Révolutionner la collaboration pour réussir dans le secteur des véhicules électriques
L’électrification est la première grande tendance qui a incité les constructeurs automobiles à dépasser les approches traditionnelles en matière de conception et de fabrication. L’abandon de la définition mécanique des véhicules a conduit de nombreuses entreprises à redéfinir les informations qui doivent être mises à la disposition d’un conducteur au volant d’un VE. Et cela pousse les constructeurs à réexaminer l’architecture des logiciels et des systèmes E/E de leurs véhicules.
L’avenir de l’électrification par batterie dépendra fortement de la technologie sous-jacente et de l’infrastructure de recharge. Par exemple, il pourrait être nécessaire de concevoir de nouveaux logiciels de gestion des batteries, capables de prolonger la durée de vie des packs en apprenant le comportement de recharge des conducteurs de différentes régions, voire de chaque utilisateur. D’autres constructeurs pourraient proposer davantage de possibilités de recharge de leurs véhicules, comme l’ont fait Ford, Rivian et GM en adoptant la norme de recharge nord-américaine (NACS) et en donnant accès au réseau de superchargeurs de Tesla. En collaborant ensemble, ces constructeurs ont développé une mise à jour logicielle ainsi que des adaptateurs de connexion physique pour assurer l’interopérabilité entre NACS et CCS1 (Combined Charging Standard 1). Quelle que soit l’application considérée, les constructeurs ont besoin d’intégrations complètes au sein de leurs réseaux de fournisseurs pour pouvoir gérer les architectures interdisciplinaires des VE.
Recharger une batterie nécessitant plus de temps que faire le plein de carburant, il est important de rationaliser le plus possible le processus (crédit image : Siemens).
Les continuités numériques facilitent cette intégration en permettant aux constructeurs automobiles d’établir un flux de données structuré pour les flux de travail tout au long du cycle de vie du produit. Chaque discipline impliquée dans la conception peut accéder aux données pertinentes, ce qui permet d’optimiser plus efficacement la conception du produit. La numérisation du développement rend possible un échange bidirectionnel en temps réel avec les fournisseurs, et donc une transmission correcte des cahiers des charges et de leurs modifications et une bonne compréhension de la disponibilité ou de la provenance des pièces chez les fournisseurs. Enfin, les liens étroits qui relient la conception et la fabrication au sein du jumeau numérique permettent une transition rapide et sans heurts entre ces deux domaines. La traçabilité tout au long de la conception, de la production et de l’utilisation contribue également à garantir des mises à jour OTA précises et rapides tout au long de la durée de vie du véhicule, ce qui accroît la valeur pour les constructeurs et leurs clients. Par conséquent, les entreprises qui exploitent le plus efficacement les logiciels pour innover et s’adapter à un marché de plus en plus dynamique bénéficieront d’un avantage concurrentiel important.
Adapter les flux de développement à l’autonomie
L’autonomie des véhicules augmente imperceptiblement, les avertisseurs de franchissement de ligne et le régulateur de vitesse adaptatif devenant la norme et de nombreux constructeurs proposant des fonctionnalités de conduite autonome de niveau 3. Mais développer des fonctionnalités plus autonomes nécessite des interconnexions plus étroites entre les systèmes mécaniques, électriques, électroniques et logiciels, ce qui accroît la complexité et le coût du développement. En outre, la transition vers des niveaux d’autonomie plus élevés dans les véhicules grand public est ralentie par l’immense défi que représentent la vérification et la validation des fonctionnalités dans l’environnement dynamique des rues des villes.
Une collaboration interdisciplinaire rationalisée pendant la conception sera nécessaire pour faire de l’autonomie une stratégie commerciale plus viable pour les véhicules particuliers, ce qui signifie que les constructeurs automobiles doivent repenser l’intégration entre les disciplines d’ingénierie et éviter le prototypage précoce. C’est là que le jumeau numérique devient indispensable. En effet, il peut aider les ingénieurs à détecter des problèmes potentiels dès les premières simulations. Résultat, les constructeurs automobiles peuvent plus facilement résoudre ces problèmes et le faire dans le contexte d’un jumeau numérique de l’ensemble du véhicule. En outre, une solution entièrement numérique peut permettre d’explorer davantage les conceptions afin de déterminer celle qui est la plus optimale pour l’ensemble des domaines mécanique, électrique, électronique et logiciel.
Pour briser les cloisons traditionnelles qui existent entre ces différents domaines, il faudra définir et communiquer le cahier des charges des systèmes de manière numérique tout au long du processus. Dans le cadre d’un programme automobile, la communication traditionnelle basée sur des documents a un coût élevé en termes de temps et de risques d’incompréhension. Une erreur dans la communication du cahier des charges d’un système peut retarder le développement ou, si elle n’est corrigée qu’à un stade avancé du programme, peut entraîner des risques élevés pour les fonctionnalités essentielles à la sécurité, telles que les systèmes de conduite autonome. Dans les contrats, un processus numérique aide à gérer plus tôt dans le processus de conception la complexité et les coûts liés à l’augmentation du contenu électronique et logiciel.
En outre, lorsque le cahier des charges des systèmes est transmis aux fournisseurs dynamiquement et plus tôt, les sous-systèmes peuvent être facilement validés conjointement avec les systèmes auxquels ils sont connectés. Par exemple, un capteur d’une fonctionnalité autonome peut être validé par rapport à la carte de contrôle, aux interfaces mécaniques et même aux tests SIL (software-in-the-loop) très tôt dans le processus.
Le développement de logiciels est essentiel dans la conception des voitures modernes, mais son intégration dans une industrie traditionnellement axée sur la mécanique doit faire l’objet d’une planification réfléchie (crédit image : Siemens).
Les avantages d’un cadre numérique s’étendent bien au-delà de la conception et du développement initiaux du produit. La traçabilité et l’accessibilité des données constituent le plus grand avantage d’un flux de travail numérique axé sur les exigences et basé sur un jumeau numérique complet. Comprendre les exigences dans leur contexte permet d’atténuer les risques et de garantir un flux de travail plus rigoureux sans ralentir le développement.
La numérisation apporte également une immense valeur ajoutée une fois le véhicule sur la route. En créant un mécanisme numérique de retour d’information entre l’usine et le véhicule, les constructeurs peuvent continuer à mettre à jour et améliorer ses fonctionnalités logicielles. Par exemple, lorsque sur le terrain les véhicules sont confrontés à des situations imprévues ou à d’autres erreurs système, les constructeurs peuvent exploiter les données transmises pour améliorer leur jumeau numérique, envoyer des mises à jour OTA aux véhicules existants et améliorer les véhicules en cours de développement. Cette disponibilité continue des données offre la flexibilité et l’évolutivité dont les constructeurs ont besoin pour mettre en œuvre de nouvelles technologies autonomes, stimuler l’innovation et améliorer la sécurité.
Livrer les produits plus rapidement grâce à la fabrication intelligente
Le développement de fonctionnalités autonomes et la modification des groupes motopropulseurs en vue de leur électrification augmentent la durée et la complexité de la conception et de la fabrication des véhicules. Face à la complexité croissante des architectures SDV, les constructeurs se tournent vers les technologies de fabrication intelligente pour pouvoir travailler de façon flexible, efficiente et écoresponsable. Apporter des modifications dans leurs ateliers devient ainsi plus rapide, ce qui leur permet de réagir plus vite lorsqu’ils rencontrent des problèmes avec leur chaîne d’approvisionnement mondiale.
Grâce à des solutions souples et agiles telles que la fabrication intelligente, les constructeurs automobiles peuvent compenser dans leurs usines une partie du coût temporel de la complexité (crédit image : Siemens).
Grâce à un jumeau numérique de leur production, les industriels ont désormais la possibilité d’optimiser celle-ci dans le monde virtuel. Ils peuvent explorer virtuellement toutes les configurations possibles, puis mettre virtuellement en service les machines en limitant au maximum les temps d’arrêt. En reliant les mondes de la conception et de la fabrication, le jumeau numérique complet aide les entreprises à optimiser l’utilisation de leur précieux temps et à atteindre des objectifs ambitieux en matière de qualité, d’écoresponsabilité et de délai de mise sur le marché. En outre, la numérisation contribue à rationaliser le flux de données entre ces deux mondes et offre de nouvelles possibilités d’adaptation et d’innovation.
En encourageant une culture de collaboration interfonctionnelle avec une fabrication intelligente basée sur le jumeau numérique complet, les constructeurs automobiles peuvent flexibiliser leurs opérations, atteindre un niveau supérieur d’automatisation et mettre en œuvre une écoresponsabilité proactive. Fusionner les mondes réel et numérique permet de mettre avec succès sur le marché la nouvelle génération de véhicules automobiles, grâce à des informations exploitables avant la mise en service physique et tout au long de la production. Ce décalage vers l’amont favorise une fabrication écoresponsable et de haute qualité dans le domaine des SDV.
La définition par logiciel, une révolution rendue possible par la numérisation
La conception et la fabrication des SDV de demain nécessitent une plus grande collaboration entre les différents domaines de l’ingénierie, les constructeurs automobiles et les chaînes d’approvisionnement mondiales sur lesquelles ils s’appuient. La transformation numérique de la conception et de la fabrication est la solution pour faire face à l’augmentation des coûts, des délais et des risques que les logiciels et l’électronique font peser sur l’industrie automobile. La création d’un jumeau numérique complet du SDV et d’une continuité numérique solide entre toutes les disciplines-clés permet de s’assurer que tous les cahiers des charges des systèmes sont satisfaits et validés. La numérisation fournit le cadre et l’accessibilité nécessaires à la réussite durable de la prochaine grande transition de l’industrie automobile.
A propos de l’auteur
Nand Kochhar est vice-président en charge du secteur de l’automobile et des transports chez Siemens Digital Industries Software. Il a rejoint Siemens en 2020 après avoir passé près de 30 ans chez Ford Motor Company, où son dernier poste en date était celui d’ingénieur en chef des systèmes de sécurité pour le monde entier. À ce titre, il était responsable au niveau mondial des performances de tous les véhicules Ford et Lincoln en matière de sécurité. Il a également été responsable technique exécutif pour l’IAO et membre du comité technique consultatif de Ford. Au cours de son mandat chez Ford, Nand Kochhar a également occupé des fonctions de directeur de l’ingénierie dans différents domaines, tels que le développement de produits, la fabrication, la numérisation, ainsi que le développement et la mise en œuvre de technologies de simulation.