« Le chaos est une échelle », susurrait l'un des personnages machiavéliques d'une célèbre série télévisée dont les héros se mesuraient à grands coups de dragons et d'aphorismes. Malheureusement, c'est peut-être vrai au niveau politique ; économiquement, rien n'est moins sûr. L'incertitude ne convient guère à une industrie aussi lourde à manœuvrer que celle des semi-conducteurs, où une usine flambant neuve requiert deux ans et des dizaines de milliards de dollars pour sortir de terre.
Or les temps sont résolument chaotiques et en l'espace de quelques semaines, plusieurs des fondements de la microélectronique se sont mis à vaciller. En qualifiant, avec la richesse et la subtilité linguistique dont il est coutumier, le Chips Act américain de « chose horrible », Donald Trump paraît avoir condamné un programme pourtant déjà bien lancé et qui devait soutenir l'installation d'usines de puces sur le sol américain. Depuis, les fabricants concernés (Samsung, Intel, Micron, TSMC et consorts) ne semblent plus trop savoir s'ils doivent retirer ou doubler leur mise, ni ce qu'il adviendra des sommes déjà versées mais pas encore dépensées. Selon Reuters, la nouvelle administration réexamine les aides distribuées après avoir renvoyé un tiers des fonctionnaires du Département du commerce chargés de superviser ce programme bipartisan.
Autre incertitude : les rodomontades et rétropédalages incessants concernant les hausses de tarifs douaniers, qui risquent de peser lourdement sur les géants américains de la tech. Ces tarifs douaniers suscitent la stupeur de nombreux acteurs du secteur, lourdement dépendant de productions asiatiques, tandis que certains tâchent de décrocher une précieuse exemption en prêtant allégeance à la Maison blanche ou en promettant des investissements domestiques faramineux.
Et en menaçant d'abandonner l'Ukraine en rase campagne, le président américain prouve le peu de cas que font désormais les Etats-Unis des alliés agressés : cela pourrait bien bouleverser le destin de Taïwan, principal fournisseur mondial de puces dernier cri. Un espoir au milieu de ce chaos : si elle tient bon (par exemple en se défendant contre les abus de position dominante des géants américains de la tech), l'Europe pourrait jouer le rôle de terre d'accueil stable et pérenne. Lorsqu'il s'agit d'investir, les industriels apprécient le calme et la visibilité.
Vainqueur par chaos

Gina Raimondo, ex-secrétaire au Commerce, et Pat Gelsinger, ex-CEO d'Intel - © Intel