Dans le cadre du Chips Act censé doper la production américaine de semi-conducteurs, le ministère du Commerce a inclus des garde-fous pour éviter que l’argent des contribuables soit mal utilisé.
Au-delà de la désormais traditionnelle clause anti-Chine, les garde-fous négociés avec l’administration semblent toutefois davantage relever de la communication que de la contrainte. Il est par exemple précisé que les fonds ne sauraient être utilisés par des sociétés adeptes des rachats d’actions, une pratique à laquelle s’adonnent pourtant tous les fabricants ou presque. Lors des trois dernières années fiscales, Intel a ainsi dépensé 38,5 milliards de dollars pour détruire ses propres actions. Presque de quoi financer… une usine de composants dernier cri ! Autre clause : un fabricant « ne saurait recevoir davantage que ce qui s’avère nécessaire pour assurer que son projet soit implanté aux Etats-Unis » – un paramètre bien difficile à estimer, et qui entérine en creux le fait que les subventions américaines sont invitées à s’aligner sur les autres aides nationales, dans une course aux deniers publics désormais mondiale.
En outre, on notera que le Chips Act prévoit – et même requiert – des « incitations » locales, c’est-à-dire au niveau de l’Etat et du comté, mais souhaiterait dans le même temps décourager la course aux ristournes locales basée uniquement sur des critères purement pécuniaires et privilégier d’autres critères aussi flous que « la compétitivité locale, l’investissement dans la communauté environnante et les bienfaits économiques au sens large ». Le reste des règles imposées aux lauréats consiste à leur demander de ne pas fournir de fausses informations à l’administration, de bien investir l’argent reçu aux Etats-Unis, de ne pas l’empocher au lieu de l’investir et de respecter les réglementations et lois américaines – le minimum syndical, on en conviendra.
Bref, ces garde-fous mélangent mauvaise foi et flou artistique sous un mince vernis de bonnes intentions. Et pour cause : ils sont là avant tout pour rassurer les opposants et le grand public, en entretenant la fable d’une industrie américaine qui n’aurait plus les moyens d’investir dans des usines sur son territoire national et que sauveraient du marasme des pouvoirs publics généreux mais vigilants. En réalité, les grands fabricants américains (tout comme leurs homologues européens et asiatiques dans leurs propres plans similaires) ont profité de la pénurie de puces pour tordre le bras à leur classe politique afin de se voir octroyer de juteuses subventions, à travers un chantage totalement décomplexé à l’implantation d’usines high-tech. Ce type d’extorsion n’est, après tout, ni nouveau, ni spécifique aux semi-conducteurs : autant l’assumer.