Eric Burnotte, le président du Snese, et Richard Crétier, le délégué général de ce syndicat, nous ont entretenu des méfaits de la méconnaissance grandissante de l’industrialisation. Dans un même esprit de filière, ils souhaitent que le sous-traitant soit reconnu par ses clients comme force de propositions, le succès commercial d’un produit dépendant non seulement de l’originalité de son positionnement mais aussi de la pertinence de sa conception et de la justesse de sa fabrication.
Le Snese, qui est le syndicat français de la sous-traitance en électronique, a toujours joué les précurseurs. Et cela fait maintenant plusieurs années qu’il alerte sur une perte de savoir inquiétante en industrialisation chez nombre d’acteurs de la filière : créateurs de nouveaux produits, investisseurs, structures d’accueil dites encore incubateurs…
En effet, si l’offre croissante en cartes électroniques faciles d’utilisation et alliant traitement du signal, capteurs, alimentation…, comme le sont les cartes Arduino, Raspberry etc., facilite la mise au point de « preuves de bien fondé des idées de nouveaux produits » (Proof of Concept), cette offre ne permet pas la mise au point de matériels électroniques d’emblée commercialisables.
Avant leur commercialisation, les nouveaux produits devront encore être fabriqués, et donc fabricables : ce qui impose une étude d’industrialisation. Et ce n’est qu’après cette étape que le concepteur saura si le nouveau produit dont il a eu l’idée est faisable, et, dans l’affirmative, avec quel prix de revient.
« On régresse au niveau de la « panoplie du petit chimiste » et quand on a réussi l’expérience, on se prend pour un industriel », résume Richard Crétier, le délégué général du Snese.
En outre, « la robotisation impose la prise en compte d’un nombre croissant de contraintes qui doivent être définies lors de la phase d’industrialisation », remarque Eric Burnotte, le président du Snese. Enfin, dans la période de pénurie de composants telle que celle que la filière électronique vit depuis presque 2 ans maintenant, l’industrialisation permet de pointer les références à problèmes avec les surcoûts et les augmentations de délais de livraison qu’elles sont susceptibles d’introduire.
Le sous-traitant doit être reconnu comme force de propositions
La déperdition de l’industrialisation est un des éléments de la perte générale de culture technique dans le pays. « La perte de compétences techniques concerne non seulement la production à proprement parler mais aussi les fonctions de support comme les achats… Les acheteurs savent de moins en moins évaluer les produits et les fabrications par manque de connaissances », note ainsi le président du Snese.
Et même si beaucoup de sous-traitants ont mis en place des formations en interne, les coûts de celles-ci sont un frein à ce type d’actions. Ce d’autant plus que si le chiffre d’affaires de la profession augmente, la marge bénéficiaire est, elle, en recul (elle représenterait quelque 3% du chiffre d’affaires).
La pénurie de composants qui oblige les sous-traitants à augmenter leurs stocks (de composants électroniques et de produits « presque finis » en attente de composants manquants) a aggravé la situation. En outre, « les augmentations de prix des composants – difficiles à trouver – ne sont pas toutes refacturées », remarque M. Burnotte.
Cette pénurie aurait cependant une vertu : elle devrait rapprocher les acteurs de la filière à l’image de la journée sur les achats de composants (le 2 octobre 2018) qui a réuni l’Acsiel (composants), le Snese et le SPDEI (distribution de composants).
Dans la pratique, cette pénurie accélère l’utilisation de composants de petites tailles (0201) – c’est notamment le cas pour les condensateurs céramiques multicouches -, ce qui a deux conséquences : d’abord, la nécessité de concevoir les nouveaux produits avec des composants de petites tailles et de redesigner certaines cartes intégrant des composants « âgés », encapsulés en boîtiers de grandes dimensions ; ensuite, la nécessité pour les fabricants de cartes électroniques de se doter d’outils en conséquence (équipements, environnements de ces équipements, disposition des machines dans l’atelier et communications entre machines).
Ce deuxième constat impose ou va imposer aux sous-traitants d’investir lourdement. Et pour ce, il serait bon que des soutiens financiers soient prévus : suramortissement, subventions régionales pour création ou maintien d’emplois, participations financières des clients à la constitution de l’outil de production – de la même façon que, via Internet, les clients du grand-public subventionnent la production des articles qu’ils commandent.
Ce mouvement traduit une évolution inéluctable de la supply chain de l’électronique qui d’une suite de métiers autocentrés doit progressivement se transformer en une organisation globale où chaque métier a sa place et ses responsabilités vis-à-vis des autres. Le sous-traitant devrait y trouver la reconnaissance qui, trop souvent, lui manque aujourd’hui : « il faut que le sous-traitant soit reconnu comme force de propositions », conclut ainsi le président du Snese.