C’est le constat d’Andy Grove, conseiller d’Intel qu’il a dirigé de 1987 à 2005. Alors que la mode occidentale est à l’externalisation des activités, M. Grove rappelle que l’évolution d’un pays passe par sa capacité d’exportation ainsi que par l’enrichissement de sa population. Extraits tirés d’un article paru dans Businessweek.
Andy Grove, conseiller auprès d’Intel, et ex-Pdg et président de cette société, s’alarme de ce que les entreprises américaines, notamment celles de l’électronique, créent de moins en moins d’emplois.
Dans la Silicon Valley, par exemple, le taux de chômage dépasse la moyenne nationale (9,7 %).«La croyance américaine selon laquelle les start-up créent des emplois est prise aujourd’hui en défaut», constate cet expert.
«Or, il est à la fois normal et nécessaire pour toute entreprise de grandir, c’est-à-dire d’augmenter sa production, son chiffre d’affaires et ses effectifs …c’est même ce qui lui permet de continuer à innover», rappelle-t-il. Malheureusement, “les entreprises américaines sont en panne de croissance“
Croissance de la production et croissance de la consommation sont liées. Pour que le consommateur achète davantage, il lui faut en effet gagner davantage. Et la progression de la demande de biens a pour conséquence une augmentation de la production.
Ce mécanisme repose notamment sur une hausse des salaires. Or, le système dans lequel il se déroule (le pays, par exemple) n’est pas un système fermé. D’autres lieux de production lui font concurrence. C’est ainsi que l’ouverture de la Chine à l’international a entraîné, en Occident, un mouvement d’externalisation et de délocalisation de la production.
Ces délocalisations ont, elles, eu pour conséquence une diminution du nombre d’emplois aux Etats-Unis. Aujourd’hui, l’industrie informatique américaine compte 166 000 emplois de moins qu’en 1975, avant la production du premier PC. En revanche, actuellement,l’industrie informatique de l’Asie emploie, elle, quelque 1,5 million de salariés.
C’est ainsi qu’est né Hon Hai Precision, un groupe taïwanais de sous-traitance devenu numéro un mondial, qui s’appuie sur 800 000 personnes. Parmi celles-ci, 250 000 fabriquent des produits Apple alors que cet équipementier, lui, n’emploie que 25 000 personnes aux Etats-Unis… «Ce ratio 1 – 10 (un employé aux Etats-Unis pour 10 employés en Chine) vaut également pour les autres grands équipementiers américains (Dell, Seagate Technology…)», estime M. Grove.
L’ex-Pdg d’Intel s’inquiète. Ce qui aux yeux de certains passe pour un non problème étant donné que le travail « noble » et la majorité des bénéfices restent aux Etats-Unis, lui semble hypothéquer l’avenir du pays. «Que vaut une société dans laquelle une frange de plus en plus mince de citoyens aisés cohabite avec un nombre de plus en plus grand de chômeurs?», questionne-t-il.
L’abandon de la production est même devenu la règle outre-Atantique. «Alors que le photovoltaïque aurait pu être une chance pour les Etats-Unis, à l’origine de nombreux travaux dans ce domaine, ce secteur n’emploie que 10 000 Américains, soit quelques pourcents des effectifs mondiaux de ce domaine», remarque l’ex-Pdg d’Intel.
Outre une montée du chômage, les délocalisations occasionnent aussi des pertes de savoirs et de savoir-faire. Ainsi, aux Etats-Unis, à la suite de l’abandon de la production d’électronique grand public dans les années 80, la perte de savoir en fabrication de batteries entrave aujourd’hui le devenir du véhicule électrique dans ce pays. En effet, pour ce type de véhicule, la batterie ion-lithium est aussi importante que le microprocesseur pour le PC.
«Toute industrie s’appuie sur un écosystème fait d’accumulations de savoir-faire, d’expériences et de retours d’expériences, ainsi que de relations entre fournisseurs et clients», rappelle M. Grove.
La diminution de la production industrielle aux Etats-Unis est aussi la conséquence d’une dépréciation de l’activité production au profit des études et du design. Ce que résume ce slogan : «Tant que la conception demeure dans le pays…».
Ce manque de considération de la fabrication de la part de l’Occident a été aggravée par une insistance maniaque sur le libre-échange. Alors que, dans le même temps, les gouvernements asiatiques mettaient, eux, l’accent sur la création d’emplois en supportant efficacement leurs industries. Exemple: le programme «Golden projects» incluant notamment la création de réseaux numériques, lancé en Chine dans les années 1980.
«Aujourd’hui, c’est à nous de prendre exemple sur l’Asie. Nous avons besoin d’une économie et d’une politique centrées sur l’emploi», insiste M. Grove. “Il est urgent de reconstruire une base industrielle forte, à partir, par exemple, de la mise en place d’une fiscalité qui taxerait les travaux délocalisés“.
«Les sommes récoltées serviraient au financement de sociétés développant leurs activités aux Etats-Unis», poursuit le conseiller. Et de conclure : «un tel système nous ferait nous rappeler que nous sommes responsables du maintien d’une infrastructure industrielle dans notre pays».