Vidéo DSL sur téléphone : prêt au décollage, mais

Le 28/02/2003 à 0:00 par GILLES MUSI

Les progrès de la compression ont permis l'acheminement d'un et bientôt deux canaux vidéo par DSL. La paire de cuivre de l'opérateur devient ainsi un nouveau moyen de diffusion de la télévision, s'ajoutant à ses fonctions d'accès au Net et au téléphone. L'avantage pourrait se révéler décisif. A condition de franchir les derniers obstacles.

Nom de code : Tamaris… Début 1997, le Cnet, qui ne s'appelle pas encore France Télécom R&D, entame dans la région de Lannion ses premières expériences de technologies d'accès ADSL. Pendant deux ans, les salariés du groupe sont mis à contribution. Quelques centaines de collaborateurs se voient notamment équipés à domicile d'un modem ADSL. D'un côté du terminal : la paire de cuivre de l'opérateur historique. De l'autre, un nouveau marché prometteur : le triple play. Autrement dit, une palette de services proposant bien sûr de la téléphonie classique mais aussi l'accès à Internet haut débit sur le PC, et un ou plusieurs bouquets de chaînes TV, de la vidéo à la demande et des services interactifs sur la télévision. Rien à voir, donc, avec des services de vidéos transmises sur Internet, éventuellement en streaming. Il s'agit bien de transmissions vidéo temps réel, proposées ou permises par l'opérateur. Les phases de tests s'avèrent probantes. Pourtant, cinq ans plus tard, force est de constater que le marché du triple play en est toujours à ses premiers balbutiements. Seul, le double play (Internet sur ADSL + téléphone) rencontre les faveurs du marché. Le constat paraît d'autant plus étrange que les fabricants de matériels (modems, encodeurs, répartiteurs et autres DSLam) ou les opérateurs de télécommunications sont unanimes : ils maîtrisent parfaitement cette technologie.

Le DSLam au centre des préoccupations

En fait, les handicaps sont d'ordre tout autant technique que commercial, économique ou réglementaire. Et ils concernent avant tout le service de l'image. Si les industriels affirment maîtriser les technologies de transmission vidéo en DSL, cette réalité n'est que très récente dans le cadre de déploiements à grande échelle, un an tout au plus. « La problématique essentielle se situait au cœur du réseau », rappelle Patrick Laurencier, responsable chez Lucent du développement commercial de la TV sur DSL. « Un parc de 10 000 clients à la TV sur DSL nécessitait la possibilité d'acheminement simultané de 10 000 flux vidéo de 4 Mbit/s à travers le réseau jusqu'au point de concentration des accès clients représenté par le DSLam (mode Unicast). Or, ni le réseau ­ sauf à considérer des investissements massifs dans les réseaux dorsaux ­ ni les DSLam n'étaient capables de supporter un tel volume d'informations », poursuit M. Laurencier. Depuis ces premières expériences qui ont montré les difficultés de mise en œuvre du concept, les ingénieurs ont travaillé sur une autre possibilité : le multicast. Un seul flux est alors envoyé jusqu'au DSLam, celui-ci se chargeant de le dupliquer vers les utilisateurs. Le gain est double : le réseau s'allège, les coûts aussi… Et les services peuvent démarrer sans attendre. Seule la vidéo à la demande en temps réel n'est plus possible. Dès lors, d'un point de vue technologique, on pourrait croire la situation limpide, les problèmes résolus. Mais il faut également compter avec une autre spécificité de ce marché, les deux standards liés aux protocoles de transport des données : l'ATM d'une part, l'Ethernet d'autre part. Pour les opérateurs de télécommunications historiques, le protocole de référence, en particulier pour les programmes TV, reste l'ATM. C'est d'ailleurs ce protocole qui est mis en œuvre pour les transmissions haut débit dans le cadre des accès ADSL. Sur ce marché règne en maître le Français Alcatel, grâce aux compétences acquises lors du rachat de Newbridge. Or, depuis un an ou deux, d'autres fournisseurs d'équipements (Lucent, Cisco…) tentent de promouvoir un protocole plus économique qui s'est développé dans les réseaux d'entreprises : l'Ethernet. Selon Patrick Laurencier, « cette technologie permet de réduire de 70 % à 80 % les coûts liés au transport des données ». En attendant, les candidats potentiels à ce marché, composé par nature d'acteurs d'origines différentes (fournisseurs de contenus, opérateurs de télévision, opérateurs de télécommunications, FAI…), risquent de se trouver confrontés, dans le cadre de leur rapprochement, au regroupement de réseaux fonctionnant sous des protocoles différents.

Enfin, d'un point de vue économique, ce marché est encore loin de garantir un retour sur investissement acceptable pour les candidats à l'aventure. Une étude réalisée par le cabinet Arthur D.Little estime que les contraintes financières sont particulièrement fortes pour « un nouvel entrant sans contenus ni réseau propriétaire ». « Les problèmes de coûts sont liés essentiellement au dégroupage pour la généralisation de l'ADSL. Les tarifs sont encore trop élevés pour y aller. C'est l'essentiel du coût pour un nouvel entrant alors qu'il est insignifiant pour l'opérateur historique », fustige un opérateur sous le sceau de l'anonymat. « Il faudrait que le prix des lignes ADSL facturées à France Télécom diminue encore. La clé du problème, c'est tout de même le prix du dégroupage. Le tarif est trop prohibitif pour une offre TV seule, non liée au téléphone ou à Internet. Or, les gens ne s'équipent en ADSL que de manière très récente. Il ne faut donc pas compter sur une généralisation de ce type d'offre avant 3 ou 4 ans », confirme Julien Vin-Ramarony. En attendant, les acteurs testent le marché, le client final, et tentent de cerner son profil. Sous l'œil vigilant d'une double tutelle, l'ART et le CSA, chacune des deux instances voyant dans cette convergence l'opportunité d'étendre ses prérogatives. In fine, le client aura le dernier mot. Car il n'est pas dit que ce soient les mêmes foyers qui souhaitent avoir les trois produits. « Par conséquent, se demande M. Vin-Ramarony, le triple play représente-t-il une offre cohérente, qui touche une cible suffisamment large ? »

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