Couverture ElectroniqueS n°127

Ceux qui voulaient faire capoter les projets de transmission de programmes TV sur ADSL ont perdu : le modèle économique “ triple play ” s'avère même encore meilleur que prévu (voir en première page). Ce n'est pas parce qu'une technologie est bonne qu'elle réussit à s'imposer. Des intérêts économiques, des monopoles de fait puissants, des intérêts politiques même, peuvent anéantir des développements qui pourtant, à l'origine, apparaissent naturels aux ingénieurs tellement les premiers résultats techniques sont probants. C'était le principal danger qui guettait la technique de transmission de programmes TV par ADSL sur ligne téléphonique. Depuis deux ans, tous les ingénieurs qui ont vu des images transmises par ADSL savent que la technique est au point. Ils savent aussi que, depuis quelques mois, les équipements dits DSLAM installés dans les centraux téléphoniques sont capables de transmettre jusqu'à 200 programmes TV en multicast pour un coût de 100 euros par foyer raccordé (et ce coût baisse encore…). Mais, dès qu'il s'agit de communications, d'énormes intérêts sont en jeu. Comme il fallait s'y attendre, des actions de lobbying d'une mauvaise foi évidente se sont ainsi multipliées en début d'année pour faire capoter les velléités de projets en cours (nous nous en sommes fait l'écho dans cette rubrique deux numéros de suite, dans nos éditions des 18 et 25 avril derniers). Mais la vérité est têtue : les spécialistes savent bien qu'en offrant sur une ligne ADSL non seulement Internet mais aussi le téléphone IP local (avec un numéro de téléphone) et des programmes TV (offre dite “ triple play ”) le modèle économique est largement jouable : ces services coûtent à un opérateur de l'ordre de 20 euros par mois (hors décodeur et hors services de facturation) ; face à ces coûts, les premières études montrent qu'un large public est prêt à payer 50 euros par mois pour cet ensemble de services… Free adopte un modèle économique très séduisant Pourtant, la première offre en la matière, celle de TF1/TPS associé à France Télécom (voir notre numéro du 11 septembre dernier) n'exploitera cette possibilité que très partiellement. Son équation économique est très juste, et, même, à la limite, “ volontariste ” : l'offre en question n'est pas en effet “ triple play ” mais “ simple play ” (elle ne porte que sur la vidéo et exclut donc le téléphone et Internet). Elle oblige France Télécom à se serrer la ceinture (par rapport à l'opulence habituelle) en louant sa liaison vidéo sur ADSL de l'ordre de 8 euros par mois seulement. Elle oblige aussi TPS, qui vise une offre de base de son bouquet à 28 euros par mois (location de son décodeur propriétaire à 8 euros par mois incluse), à ne récupérer réellement que 12 euros par mois et par liaison. Ce qui est largement acceptable en marginal, mais un peu juste en absolu par rapport au satellite. Les deux partenaires y trouvent pourtant leur compte : France Télécom évite, avec cet accord, d'écorner son activité de téléphonie fixe et préserve les intérêts de Wanadoo dans Internet ; parallèlement, TPS arrivera dans les foyers qui ne peuvent pas être raccordés à une parabole et qui ne figuraient donc pas jusqu'ici parmi ses clients “ adressables ”. C'est donc “ tout bénéfice ”. On mesure ainsi à quel point Free, avec son offre “ triple play ” à 30 euros par mois, décodeur inclus, donne vraiment un coup de pied dans la fourmilière : il casse les prix sans faire de dumping ; il provoque un incroyable intérêt de sa clientèle initiée (avant de s'attaquer aux non-initiés); il offre les trois services sur une même facture ; il rend l'appel téléphonique local quasi gratuit. Mardi, au moment de notre bouclage, l'offre était en place et fonctionnait très bien sur Paris chez les heureux possesseurs du décodeur ad hoc situés suffisamment près des centraux téléphoniques (sauf quelques problèmes techniques pour certaines chaînes). Free va-t-il battre tous ses concurrents à plate couture ? Non, car il est face à des acteurs puissants qui trouveront des moyens non techniques pour lui barrer la route : ce n'est pas demain que Free pourra proposer en ADSL TF1, M6 ou Canal+ (mais cela ne semble pas trop gêner des téléspectateurs que nous avons interrogés : “ Nous continuerons à recevoir ces chaînes en hertzien ”, nous a-t-on répondu…). Free utilise par ailleurs des lignes de France Télécom dégroupées : une peau de banane est si vite arrivée… Les railleries commencent d'ailleurs à se faire jour : “ L'offre de Free n'inclut pas les programmes vidéo à la demande ”, par exemple. Heureusement pour Free : toutes les expériences tentées en la matière de par le monde ont échoué. La raison : recettes tout simplement insuffisantes face aux coûts ; ce type de service n'est pas assez mûr pour être proposé aujourd'hui. Il faut parfois savoir attendre…

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