« Nous exhortons les clients à donner le maximum de visibilité sur leurs besoins »

Le 05/07/2021 à 13:00 par La rédaction

CE DOSSIER SUR LA DISTRIBUTION COMMENCE PAR UN TOUR D'HORIZON HISTORIQUE, ÉCONOMIQUE ET LOGISTIQUE CONDUIT PAR LE PRÉSIDENT DU SYNDICAT PROFESSIONNEL DE LA DISTRIBUTION EN ÉLECTRONIQUE INDUSTRIELLE (SPDEI), PASCAL FERNANDEZ.

Voyez-vous de grandes tendances de fond se dégager chez les distributeurs ?

Pascal Fernandez Rien n'est fondamentalement nouveau. Le marché distingue des distributeurs spécialistes et d'autres plus généralistes. En 35  ans, nous avons vu beaucoup de (re)structurations, de rassemblements et d'acquisitions. Il y a 30  ans, le marché se composait de PME ou de filiales de groupes européens. Il s'est régionalisé et globalisé à partir des années 1990 et au tournant du millénaire.

Souvent, la distribution en France était à l'origine une extension de la distribution de matériel électrique. Le groupe Sonepar avait par exemple dans les années 1980 et 1990 développé une division électronique en Europe. Le paysage actuel est occupé par des généralistes multinationaux (Avnet, TTI, Arrow) de grandes tailles qui se sont implantés en Europe et en France dans les années 1990. Présents avec les grands fabricants de composants, ils proposent presque tous les types de composants.

Le portefeuille de services à valeur ajoutée inclut des solutions supply chain sophistiquées en support des besoins juste à temps des industriels, le support au design et le développement de solutions. Les généralistes adressent tous les marchés, y compris les marchés grands volumes. Les entreprises locales se sont quant à elles spécialisées, soit par type de marché (ferroviaire, aéro), soit par type de produit (affichage, conversion d'énergie, etc.). Nous trouvons des spécialistes de petites tailles, des PME ou des ETI sur des marchés ciblés avec des compétences très pointues.

Pascal Fernandez, président du SPDEI

« Nous n'avons jamais autant échangé avec la DGE. Dans le passé, l'électronique n'était pas du tout au centre des discussions. »

Des distributeurs dits « à forte valeur ajoutée » auparavant appelés « cataloguistes » sont apparus. Il y a 20 ans, ils imprimaient des catalogues et servaient leurs clients par téléphone ou en vente par correspondance. Ils travaillent en ligne depuis près de dix ans avec des portefeuilles très étendus, de petites quantités vendues et quelques gros acteurs comme Premier Farnell, RS Composants et Mouser.

La logistique a de son côté fortement évolué, notamment dans son rapport à l'automatisation…

Pascal Fernandez Auparavant, chaque distributeur  – dont les grandes sociétés américaines – disposait presque d'un magasin par pays. Depuis, les grosses multinationales axées sur les marchés de volumes ont recentralisé leur logistique. Elles possèdent désormais plusieurs magasins par continent pour livrer les clients en quelques heures. La remarque s'applique également aux distributeurs « à forte valeur ajoutée ». Les plus petits distributeurs possèdent des stocks dans différents pays ; moins pléthoriques, ces stocks sont profilés selon leur spécialité, et sont souvent dédiés à des programmes clients. Autre aspect bien connu, la digitalisation et la gestion des échanges entre les différents acteurs s'accélèrent sans fin. Gérer l'information suppose une foule de références électroniques différentes livrées en même temps pour des clients différents. Apparus dans les années 1980, les échanges distributeurs-fournisseurs avec les EDI (pour les passages de commandes, et autres fonctions basiques) se sont démocratisés dans les années 1990 et 2000, avec des échanges concernant ensuite des prévisions de commandes, des factures, etc. Les prévisions des clients peuvent désormais être intégrées dans les systèmes d'information des distributeurs.

L'évolution se trouve dans le besoin d'informations toujours plus fines, une volonté plus affirmée des filières aval et des donneurs d'ordres de contrôler leur supply chain. Par effet de cascade, il existe une véritable pression sur leurs filières pour automatiser les échanges et optimiser la visibilité des risques associés à leurs approvisionnements, surtout en période de pénurie.

La connexion directe client-fournisseur via les API se généralise. Les données vont être prélevées et échangées entre les deux systèmes d'information selon un format défini par les partenaires. Cela permet d'échanger les données classiques relatives aux commandes et livraisons, mais également l'échange de devis, de délais et de disponibilité. Cependant, l'accès à ces API est délicat pour les sociétés de petite taille, en raison des compétences et de l'investissement requis pour mener ces développements.

Le comité stratégique de filière électronique, dont fait partie le SPDEI, consacre un de ses axes de développement à la supply chain, notamment la digitalisation des échanges. Le groupe dédié lance des webinaires auprès des petites sociétés pour les insérer dans une voie semblant être inéluctable.

Quels échos percevez-vous de la part de vos adhérents à propos de la crise des composants ?

Pascal Fernandez Cette industrie très dynamique a vu une douzaine de crises en 35  ans. Ses attributs sont des process de fabrication de semi-conducteurs très longs (quatre à cinq mois), plus une demande très volatile : l'électronique est sans cesse plus présente dans les équipements grand public. Si la demande ralentit légèrement, la crise survient avec trop d'in-ventaires et des prix en baisse. Si la demande s'envole, la pénurie s'installe à cause de la longueur du process de fabrication.

“Les dernières prévisions 2021 font état de + 12 % de croissance pour les semi-conducteurs. ” PASCAL FERNANDEZ, président du SPDEI

Le Covid a brutalement stoppé les activités mondiales au printemps 2020, créant une inquiétude générale. Mais l'Asie a très vite redémarré. Nous sommes ainsi passés d'une situation d'extrême prudence – sans prises de commande, ni d'identification des besoins – à une autre très tendue et complexe dans une industrie en forte croissance. Beaucoup d'industries comme les télécoms ont bénéficié de la pandémie en Occident. Nombre de PC, de téléphones, d'équipements de stockage de données se sont vendus. L'automobile est repartie fortement en automne 2020 grâce aux véhicules électriques et aux systèmes de guidage autonomes. C'est le cas également pour toute la partie industrielle de l'électronique avec l'industrie 4.0, les objets connectés, et tous les autres marchés alentour. Même si l'avionique est arrêtée pour quelque temps, les dernières prévisions 2021 font état de +12 % de croissance pour les semi-conducteurs.

Le comité stratégique de filière et d'industrie électronique (CSF)

Créé en 2018, ce comité va, d'après Pascal Fernandez, « structurer de plus en plus l'industrie électronique française. Un contrat de filière a été signé avec Bruno Le Maire pour rendre encore plus performante cette industrie, qui est transversale à presque toutes les filières industrielles françaises. […] Les enjeux clés (engagements de l'État, forces de proposition des régions et des industriels) doivent être coordonnés dans ce type de structure. Le CSF Electronique auquel nous participons avec ACSIEL, Embedded France, le SNESE et la FIEEC est central pour l'avenir de l'électronique française. »

Chacun est conscient du problème et cette pénurie devrait durer au moins jusqu'à début 2022. De nombreux composants sont cependant livrés. Nous exhortons les clients à donner le maximum de visibilité sur leurs besoins. Nos fabricants et nos fournisseurs nous demandent des engagements à très long terme. Les portefeuilles de commandes des clients sont très importants : le book to bill est proche de deux.

Peut-on penser qu'il y ait plus de commandes que nécessaire pour justement sécuriser ou pseudo-sécuriser les livraisons ?

Pascal Fernandez Ce problème de l'ensemble de la supply chain est connu : les délais raccourcissent, les acteurs annulent leurs commandes et il n'y a plus de besoin. Nos équipes travaillent étroitement avec nos clients pour discerner la double commande de la commande engagée pour des projets bien réels. La double commande ne peut être évitée, mais elle met en relief la fluidité des systèmes de communication optimisée par la digitalisation.

Y a-t-il une autre problématique spécifique en période de pénurie ?

Pascal Fernandez En période de pénurie, où les composants sont rares, il y a un besoin de vigilance vis-à-vis de la contrefaçon. Nous observons une recrudescence mondiale de la présence de brokers qui achètent des stocks pour les revendre à d'autres sociétés. Il faut maîtriser la source à laquelle on achète les composants. Le rôle du distributeur est de mettre en place la traçabilité de la provenance du composant. Nous recommandons à nos clients de privilégier les réseaux officiels de distribution afin de minimiser les risques de contrefaçon.

La frontière entre les services proposés par la sous-traitance et par la distribution semble peu à peu s'effacer…

Pascal Fernandez Les sous-traitants sont toujours plus agiles dans leurs achats de composants, les distributeurs toujours plus complets dans leurs services à forte valeur ajoutée. Il y a bien une petite zone de chevauchement lorsqu'un distributeur assemble des systèmes, mais les métiers sont réellement très différents. Nous sommes plus partenaires que concurrents.

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