Linux a ouvert la voie aux systèmes d'exploitation libres ou Open Source dans le monde de l'embarqué. Devant l'explosion de l'offre, les éditeurs d'OS enfouis aux modes de commercialisation plus traditionnels commencent à réagir.
Pour une fois, les cabinets d'études sont au diapason pour prédire à Linux un avenir radieux sur les marchés de l'enfoui. Ainsi, selon VDC, les ventes mondiales de Linux embarqués, d'outils de développement et de services associés, qui ont dépassé en 2001 les 50 millions de dollars, devraient atteindre près de 350 millions de dollars en 2006. Une enquête réalisée en juillet 2002 par le cabinet Evans Data Corp. (EDC) confirme cet engouement des concepteurs de l'embarqué pour le système d'exploitation disponible en Open Source[*]. Plus de 30 % des 444 développeurs interrogés par EDC comptaient en effet utiliser Linux dans leur prochain projet. Certes, 30,6 % d'entre eux devaient, selon toute probabilité, porter leur choix sur Windows CE ou Windows XP Embedded, les deux systèmes d'exploitation embarqués de Microsoft. Mais c'est Linux qui affichait la progression la plus rapide puisque seulement 10,1 % des développeurs interrogés utilisaient déjà cet OS, contre 16,3 % pour les deux déclinaisons de Windows. Pas mal pour un logiciel qui a commencé de susciter l'intérêt des développeurs de l'embarqué il y a tout juste quatre ans !
Face à cette déferlante, Wind River ne pouvait rester les bras croisés. Le numéro un du marché des OS embarqués a bien compris la menace, et c'est ce qui explique sa tentative de prise de contrôle au printemps 2001 du système d'exploitation FreeBSD, disponible, lui aussi, en source libre (voir notre numéro du 19 avril 2001). Un OS dont l'éditeur s'est débarrassé neuf mois plus tard, le jugeant sans doute mal adapté aux besoins de l'embarqué. Revenu de cette déception, Wind River a, depuis, changé son fusil d'épaule et a préféré s'adapter en adoptant fin 2002 un nouveau modèle commercial. Une annonce effectuée au moment du lancement de ses “ plates-formes intégrées ” qui associent en un seul ensemble designs de référence, système d'exploitation, outils de développement, middlewares spécifiques et services associés (voir notre numéro du 22 novembre 2002). Jusqu'alors partisan d'un mode de commercialisation traditionnel dans le domaine des logiciels enfouis (cession, projet par projet, de licences de développement et perception de redevances sur les équipements produits intégrant l'OS), l'éditeur de VxWorks a en effet mis en place un système d'abonnement annuel dont le montant dépend uniquement du nombre de développeurs impliqués. L'abonnement, qui se veut financièrement attractif, inclut des mises à jour et des mises à niveau ainsi que des “ crédits ” de services (consultations sur site, formations, stages, etc.). Wind River tente ainsi d'empêcher les concepteurs d ' équipements embarqués de céder un peu trop facilement aux sirènes du logiciel libre… Ce modèle de commercialisation par abonnement commence d'ailleurs à faire de plus en plus d'émules dans les rangs des éditeurs d'OS enfouis non Open Source. Green Hills a aussi sauté le pas avec TotalDeveloper, une offre intégrée qui regroupe les compilateurs C/C++ et l'environnement de développement intégré Multi de la société, deux OS temps réel disponibles en code source et libres de droits (Integrity et ThreadX), des protocoles réseaux, une sonde de débogage, des outils d'analyse de performances, des services d'ingénierie sur site et le support technique associé. Cette offre groupée est commercialisée sous forme de souscription annuelle qui donne droit, là aussi, aux mises à jour et aux évolutions ad hoc. Microsoft, quant à lui, ne cache pas sa sainte horreur du terme même d'Open Source, dont le principe, traité de “ cancer pour l'innovation technologique ”, est systématiquement critiqué par l'éditeur de Windows. Il n'empêche que Microsoft a, lui aussi, été obligé de s'adapter à la nouvelle donne. Pour ce faire, la firme de Bill Gates a mis en place la politique du “ Shared Source ”, qui permet aux licenciés d'accéder au code source, de le modifier, voire de le redistribuer… dès lors que ce n'est pas à des fins commerciales. L'ouverture a quand même des limites chez Microsoft ! Ainsi, 500 000 lignes de code étaient accessibles avec Windows CE 3.0. Avec CE.Net, l'éditeur a triplé ce chiffre en y incluant de nouveaux composants comme le serveur Web HTTP, le système de mise en files d'attente Message Queuing, les pilotes USB, Bluetooth et IEEE802.11b ainsi que les protocoles UPnP (Universal Plug and Play) et Soap (Simple Object Access Protocol).
[*] Voir notre lexique page 27. (1) A noter qu'il existe depuis 1998 sur le Web une version de Linux spécifiquement dédiée à l'embarqué, baptisée uClinux et développée pour le marché des microcontrôleurs et des processeurs sans MMU (www.uclinux.org). (2) MontaVista a aussi amélioré les caractéristiques déterministes de son Linux embarqué grâce à l'intégration au sein de l'OS d'un ordonnanceur temps réel et d'un noyau préemptif, deux “ patchs ” qui devraient être intégrés dans la prochaine version majeure de l'OS libre (Linux 2.6). (3) Un système est dit “ à haute disponibilité ” lorsqu'il est capable de fonctionner au moins pendant 99,999 % du temps, ce qui correspond à moins de 5 mn d'indisponibilité par an.