Couverture ElectroniqueS n°127

Le grand Forum annuel européen des dirigeants de l'industrie du semiconducteur a montré que cette profession a totalement (ou presque) retrouvé le moral. Souci actuel : répondre à la demande. Prague La société d'études Future Horizons, l'une des plus crédibles dans le domaine du semiconducteur, a organisé cette année son Forum annuel à Prague, du 2 au 4 mai dernier. En y invitant quelques têtes d'affiche prestigieuses comme Pasquale Pistorio (CEO de STMicroelectronics), Aart de Geus (CEO de Synopsys), Walden C. Rhines (CEO de Mentor), Roger Blenthem (CEO de LTX) ou Young K. Sohn (président d'Agilent Semiconductor), tout le gratin des représentants européens de l'industrie du semiconducteur et de ses fournisseurs s'est senti obligé d'être là, ce qui a conduit, selon les participants eux-mêmes, à des retrouvailles extrêmement fructueuses.A tout seigneur tout honneur, c'est la conjoncture qui aura le plus marqué la manifestation. Par rapport à l'an passé, le souci de la profession s'est déplacé : le problème n'est plus de savoir quand aura lieu la reprise et quelle intensité elle atteindra, mais, sans exception, “ comment vais-je faire pour répondre à la demande cette année ? ».En effet, les dirigeants de l'industrie du semiconducteur ne sont certains que la reprise est bien réelle et durable que depuis mars-avril de cette année, après avoir constaté que le creux des commandes traditionnel de janvier-février avait été à peine marqué. Des investissements de court terme ont ainsi été décidés, mais avec une grosse déception à la clé : il faut désormais six mois de délai au moins pour obtenir de nouvelles machines de production de technologies déjà rodées. Les fournisseurs de l'industrie du semiconducteur ont en effet eux aussi abaissé leur point mort et ont souvent une capacité de production inférieure à celle de 2000 ! Le temps d'installer et de roder les nouvelles machines livrées, il ne faudra donc pas compter sur des augmentations de capacités de production de semiconducteurs significatives avant début 2005. D'ici là, c'est désormais inévitable, beaucoup de prix de semiconducteurs se seront envolés et des allocations de livraisons auront été mises en place… ce qui va inciter les acheteurs à restocker et les entraîner dans une période de forte pénurie. Le président de Future Horizons, Malcolm Penn, n'a pas hésité ainsi à prévoir, lors du forum, que la croissance des ventes de semiconducteurs serait cette année « au minimum de 32 % » ! L'assemblée s'en est réjouie mais en se disant tout de même qu'elle attendrait avant d'évoquer un tel chiffre devant ses actionnaires… Pour 2005, beaucoup sont incités à prévoir un retournement de conjoncture : « Le redémarrage a débuté mi-2003. Une crise dure 18 mois. La fin de l'euphorie est donc pour début 2005. »Le président de Future Horizons réfute ce raisonnement : « Une crise est le résultat d'un équilibre offre-demande et cet équilibre ne pourra que difficilement se rétablir en 2005 si tout s'accélère au deuxième semestre de cette année. Nous voyons plutôt la probabilité de retournement pour 2006 », a-t-il déclaré. Il prévoit ainsi une nouvelle croissance de marché pour 2005. Compte tenu de la difficulté d'obtenir aujourd'hui des machines de production, les fournisseurs de semi-conducteurs ont accordé une certaine crédibilité à ces propos.Autre thème très évoqué à Prague, les “ ratés ” de la loi de Moore qui n'est pas une loi, est-il nécessaire de le rappeler ? Certes, le monde du semiconducteur va toujours réussir à multiplier par quatre la densité d'intégration de ses circuits tous les trois ans, comme par le passé, et cela pour encore trois générations au moins (motifs de 65 nm, 45 nm puis 32 nm). Mais cela ne sera plus possible sans technologies additionnelles pénalisant fortement les coûts.Marchés : retour à la normaleAutre thème très abordé en coulisse, les conséquences des délocalisations sur l'électronique européenne et l'évolution des marchés. Depuis que les responsables européens ne raisonnent plus en marchés livrés mais en chiffres d'affaires générés par des pouvoirs de décision locaux, en particulier pour tout ce qui est conception, les marchés européens reprennent une croissance semblable à celle d'avant 2000. Nous n'avons d'ailleurs rencontré personne qui raisonne encore en chiffre d'affaires par lieu de livraison et non par lieu de conception. Dans ce contexte, en Europe, hors Nokia et Philips, les marchés qui attirent le plus sont les marchés allemands et le marché français, ce dernier étant souvent considéré comme deux fois plus petit. Le Royaume-Uni ne fait plus recette car ce pays n'est plus le siège de grandes sociétés à pouvoir de décision local (le marché italien est considéré comme dynamique mais aux mains de distributeurs du fait de la faible importance des sociétés qui y sont implantées). Pasquale Pistorio, CEO de ST, a fait à Prague un discours de clôture non pas applaudi mais ovationné, dans le cadre duquel il a décrit à quelles conditions, selon lui, l'électronique européenne pourrait tenir tête aux grandes offensives mondiales. Un discours sans tabous que nous reprendrons en partie dans une prochaine édition.Comment les sociétés étrangères, américaines en particulier, considèrent-elles la France aujourd'hui ? Nous avons profité de la présence à Prague de nombre de leurs représentants européens pour leur poser la question, évitant ainsi les réponses convenues des p-dg américains. La réponse a été parfaitement uniforme de la part de la dizaine de personnes interrogées : la France est sans doute le deuxième pays de l'électronique européenne mais hors de question d'y investir le moindre dollar pour mieux s'y implanter : “ Un pays qui interdit aux personnels de travailler plus de 35 heures par semaine ne peut pas être considéré comme un pays responsable dans le contexte actuel. ” Le mot d'ordre est ainsi “ profil le plus bas possible en France ”, en particulier avec les équipes déjà en place. Seules les sociétés étrangères avec une forte culture française, non représentées à Prague, se montrent plus blasées et plus modérées dans leurs propos. La pente sera longue à remonter…

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