Couverture ElectroniqueS n°127

“Investir aujourd’hui dans le numérique pour garantir la croissance de demain”, tel était le thème d’un séminaire organisé pour sensibiliser la commission chargée de définir les priorités de l’emprunt national. Nul ne connaît encore son montant, mais nombreux sont les secteurs et les industries qui ont l’espoir d’en bénéficier. Les professionnels de l’électronique et du numérique n’hésitent d’ailleurs pas à se mettre en avant avec l’ambition de figurer parmi les bénéficiaires de cette future manne en approchant les cabinets ministériels et en demandant audience à Alain Juppé et Michel Rocard, les deux coprésidents de la commission chargée d’identifier les priorités de l’emprunt national. Les ministres eux-mêmes s’impliquent pour défendre les secteurs dont ils ont la charge, telle Nathalie Kosciusko-Morizet, la secrétaire d’Etat à l’Economie numérique. La recherche et l’écologie sont des concurrents sérieux Lors d’un séminaire qu’elle a organisé le 10 septembre dernier à la maison de la Chimie, à Paris, Nathalie Kosciusko-Morizet a tenté, avec le renfort de nombreux entrepreneurs du secteur et d’élus régionaux, de montrer l’importance des technologies numériques sur la croissance économique. Sans se montrer totalement indifférent aux arguments présentés, Michel Rocard, qui est par ailleurs ambassadeur de France pour les négociations polaires, a jeté un froid dans l’assistance en déclarant que « le grand emprunt sera grand par l’étendue du sujet, mais qu’il ne pourra pas l’être par son montant, car les finances publiques ne le toléreraient pas ». « A côté de l’économie numérique, il y a des concurrents sérieux tels que la croissance verte et l’économie du savoir. Il est particulièrement urgent de sortir nos universités de leur médiocrité permanente. Le très haut débit a pour lui la possibilité d’être financé par les investissements privés », a-t-il estimé. L’opération Campus, qui vise en partie à soutenir la recherche dans l’électronique et le numérique, notamment à Saclay, Toulouse et Lille, bénéficiera à elle seule de 5 milliards d’euros, vient à ce propos d’annoncer la ministre de la Recherche, Valérie Pécresse. Certes, ce montant ne sera pas puisé en totalité sur les fonds procurés par le futur grand emprunt, mais il paraîtrait étonnant qu’il n’en ponctionne pas une partie. Même chose pour le développement durable qui devrait, lui aussi, être gourmand en moyens financiers. Heureusement, il y aura, là aussi, des synergies avec l’économie numérique. « Numérique et écologie, même combat », a d’ailleurs déclaré Alain Juppé, lors du séminaire. « Il y a une synergie très forte entre ces deux domaines. Le numérique a un rôle prépondérant à jouer dans des domaines tels que la recherche d’une efficacité énergétique accrue, les transports intelligents et la modification du rapport au travail ou à l’administration. Le grand emprunt va devoir cibler ses financements sur quelques projets prioritaires et auxquels le financement public permettrait d’atteindre une taille critique », a-t-il souligné. Il a toutefois estimé que « le numérique peut prétendre à un financement » et que « si nous décidons d’investir sur des infrastructures, les infrastructures numériques seront prioritaires ». « Le numérique a toutes ses chances », a-t-il conclu, remettant un peu de baume au cœur de l’assistance et parmi les intervenants qui ont notamment débattu pendant plus d’une heure et demie sur la meilleure façon d’offrir la fibre optique à l’ensemble de nos concitoyens. « Une vraie politique industrielle » pour la nanoélectronique Le Premier ministre, François Fillon, a pour sa part estimé qu’il est « fondamental d’approfondir la couverture numérique du territoire ». « En particulier, les investissements pour le déploiement de la fibre optique représenteront plusieurs dizaines de milliards d’euros (*) et le gouvernement ne peut pas en être spectateur. Bien sûr, il faut éviter les écueils d’une intervention de la puissance publique qui serait excessive ou mal calibrée. Mais ma conviction, c’est que face à une telle révolution technologique, l’investissement public est non seulement nécessaire, mais aussi légitime. Mais, il ne peut se concevoir que comme complémentaire à l’initiative privée, et en coordination avec elle ». François Fillon a également évoqué l’Internet mobile qui offrira aux zones faiblement peuplées des débits importants, en ayant notamment recours à la technologie LTE dont la mise en œuvre sera rendue possible grâce aux fréquences libérées par l’arrêt de la télévision analogique. Par ailleurs, il a estimé qu’« une véritable politique industrielle doit être mise sur pied pour la nanoélectronique et le logiciel ». S’il est une certitude, c’est que la France doit agir vite si elle veut rester dans le coup. Au plan international, les Etats-Unis ont bâti un plan prévoyant un investissement de 7,2 milliards d’euros, l’Australie table sur un investissement de 20 milliards d’euros. La Grèce, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, la Finlande, Singapour, ont aussi initié des démarches d’investissement pour offrir le très haut débit à leurs citoyens. Pour Yves Gassot, directeur général de l’Idate (Institut de l’audiovisuel et des télécommunications en Europe), qui a délivré ces chiffres, « la priorité pour l’Europe d’ici à 2015 est de déployer le très haut débit dans l’ensemble des grandes agglomérations ». Pour sa part, Jean-Ludovic Silicani, le président de l’Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes), a proposé un déploiement de la fibre optique en trois zones (très dense, semi-dense et peu dense). « Il faut mettre en place un cadre juridique libérant l’investissement, favoriser l’entreprise privée et mobiliser des moyens publics. Dans la zone très dense, ce cadre juridique devrait entrer en vigueur avant la fin de l’année, dans la zone semi-dense, l’Etat pourra prendre le rôle de co-investisseur avisé aux côtés des opérateurs. Un investissement public pourrait également être opéré au plan local. Dans les zones semi-dense et peu dense, l’investissement public, sous forme de co-investissement dans l’une et de subventions dans l’autre, ne devrait pas poser de problèmes majeurs vis-à-vis de Bruxelles », estime le directeur général de l’Arcep. L’autorité, qui communiquera ses recommandations d’ici à la fin de l’année, souligne que « si le déploiement de la fibre commencera naturellement dans les zones les plus denses, il est essentiel de travailler dès à présent aux conditions du déploiement sur l’ensemble du territoire ». (*) Entre 25 et 40 milliards d’euros selon les estimations. « Le grand emprunt va devoir cibler ses financements sur quelques projets prioritaires auxquels le financement public permettrait d’atteindre une taille critique », a précisé Alain Juppé, coprésident de la commission chargée d’identifier les priorités de l’emprunt national.

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