Couverture ElectroniqueS n°127

Membre de la direction technique d'Alcatel, Michel Ruffin est en charge des activités de coordination logicielle entre les différentes divisions du groupe français. Coordinateur, à ce titre, de la sélection des systèmes d'exploitation pour l'ensemble des produits Alcatel, il nous explique pourquoi Linux est devenu un OS embarqué primordial pour sa société. Linux fait une percée remarquée sur le créneau des équipements pour infrastructures de télécommunications, et, plus généralement, sur tous les marchés de l'embarqué. Quelle est la position d'Alcatel vis-à-vis de ce système d'exploitation ?En deux ans et demi, la montée en puissance de Linux a radicalement modifié le paysage des systèmes d'exploitation embarqués. Même Wind River, aussi farouchement opposé à l'OS libre qu'il ait été dans le passé, a pris en compte ce phénomène inéluctable et a modifié sa stratégie en conséquence. Il faut dire qu'aujourd'hui Linux est apte à attaquer pratiquement tous les marchés. Certes, il ne sera jamais un système d'exploitation temps réel dur, au sens déterministe du terme. Mais l'amélioration de ses caractéristiques, couplée à l'augmentation des performances des circuits, en fait désormais un candidat sérieux pour de nombreuses applications du temps réel mou. Alcatel a pris acte de cette tendance et a décidé d'utiliser à terme Linux dans la plupart de ses équipements, là où il n'existe pas de contraintes temps réel fortes.Pour une société comme Alcatel, quels sont les avantages à utiliser Linux ?Ce choix vise à nous garantir une certaine indépendance vis-à-vis des fournisseurs d'OS enfouis et à nous mettre à l'abri de coûts de licences prohibitifs et de problèmes de pérennité de l'offre. Pour Alcatel, Linux est désormais le standard de facto pour les systèmes d'exploitation, avec tous les avantages qui en découlent, notamment au niveau de la disponibilité de logiciels tiers. L'OS libre a par ailleurs un intérêt non négligeable dans les équipements à marges très réduites : son coût qui n'est pas nul est en général facilement ajustable aux déploiements en grandes quantités.L'engagement d'Alcatel envers Linux s'est en fait concrétisé par notre participation, en tant que membre fondateur, au groupe de travail “ Carrier Grade Linux ” de l'Open Source Development Lab, et ce dès janvier 2002. Ce groupe s'est attaché à développer des spécifications auxquelles doivent obéir les distributions Linux pour équipements d'infrastructures télécoms, et met en particulier l'accent sur les caractéristiques de haute disponibilité. Nous en sommes actuellement à préparer la version 3.0 de ces spécifications.Linux est-il déjà présent dans des équipements télécoms commercialisés par Alcatel ?Depuis quelque temps déjà, Linux équipe certains PABX IP pour entreprises. Cet OS est aussi intégré dans des systèmes de transmission pour réseaux terrestres ou sous-marins (DWDM ou Sonet/SDH par exemple) et le sera prochainement dans des équipements pour infrastructures mobiles. Utilisé sur des plates-formes de contrôle des communications, Linux peut alors être amené à cohabiter dans un même châssis avec un, voire plusieurs systèmes d'exploitation temps réel capables, eux, de gérer les éléments de réseau proprement dits : le commutateur, l'interface ligne, le routeur IP, la passerelle, etc. Cette coexistence est une réalité, et ce sera encore le cas pendant de nombreuses années, même si l'OS libre parvient à améliorer ses caractéristiques pour prendre en charge ces fonctions. Un groupe comme Alcatel n'a pas, en effet, d'intérêt particulier à changer souvent de systèmes d'exploitation. Les équipements pour infrastructures de communication ayant une longue durée de vie, nous optons toujours pour des solutions pérennes. Pour vous citer un exemple, il nous faudrait une dizaine d'années pour faire basculer vers Linux l'ensemble des plates-formes de gestion de réseau d'un opérateur.Quels sont vos critères de sélection en matière d'OS temps réel “ sur étagère ” ?Notre choix se porte sur des systèmes d'exploitation dits “ modernes ” à base de micronoyaux, modulaires, configurables de manière dynamique, dotés de mécanismes de protection mémoire et bien adaptés à des architectures distribuées grâce à leurs techniques de passage de messages. Le système d'exploitation OSE de la société Enea Embedded Technology, que nous avons retenu(*), entre dans cette catégorie, tout comme l'OS temps réel de l'éditeur QNX ou la technologie Chorus, commercialisée par Jaluna. Une bonne intégration avec Linux est également souhaitable. Enea propose à cet égard OSE Gateway, un logiciel qui facilite la communication entre applications réparties sur des OS différents et qui améliore la tolérance aux pannes.L'utilisation de Linux présente-t-elle tout de même quelques inconvénients pour Alcatel ?Les licences Open Source requièrent en fait certaines précautions d'usage. La licence GPL à laquelle obéit Linux stipule la mise en Open Source de tout code logiciel, dès qu'on le lie de manière statique au noyau pour en faire un seul exécutable. Cette obligation peut poser un problème sur certains drivers développés en interne. La lecture des codes sources, une fois ces derniers mis dans le domaine public, peut en effet donner des indications sur la stratégie de développement et les roadmaps de nos produits… Cet aspect des choses doit donc être pris en considération dès le début de la conception d'un produit.Par ailleurs, le choix de Linux, et, plus généralement, de logiciels disponibles en source libre, nécessite un processus spécifique au traitement de ces logiciels : vérification du type de licences auquel ils obéissent, validation de leur pérennité, autorisation d'utilisation, référencement, suivi de leur évolution, etc. Chez Alcatel, ce processus, en cours de mise en place, s'appuie sur un ensemble d'outils informatiques automatisés, et s'avère similaire dans son principe à celui que nous utilisons pour le décompte des redevances liées aux OS avec paiement de royalties et pour la gestion des droits de propriété intellectuelle. Je dispose à cet égard de correspondants dans les diverses Business Units d'Alcatel.Le groupe Alcatel utilise-t-il sa propre déclinaison de l'OS libre ou fait-il appel à des distributions Linux embarquées commerciales ?Nous utilisons autant que possible des distributions Linux commerciales pour nos équipements embarqués, à l'instar de celle proposée par MontaVista, dont le produit est compatible avec les spécifications Carrier Grade Linux. Nous bénéficions ainsi d'un support et de services supplémentaires, comme, par exemple, le packaging des copyrights que nous devons intégrer dans la distribution Linux associée à tout produit Alcatel. C'est également l'éditeur qui se charge de l'intégration de son offre avec des logiciels tierces parties.Le choix d'une distribution commerciale nous permet aussi de collaborer étroitement sur l'évolution de nos roadmaps respectives et de nous protéger contre d'éventuels problèmes de propriété intellectuelle liés à l'utilisation de Linux. Dans l'éventualité d'un litige, une société comme MontaVista nous décharge d'une partie des responsabilités légales et nous garantit le remplacement rapide des lignes de code incriminées.(*) NDLR : Enea Embedded Technology et Alcatel ont récemment renforcé leur partenariat en signant un contrat cadre qui couvre non seulement le système d'exploitation OSE mais également la technologie réseau IP et le gestionnaire de base de données relationnelles Polyhedra.

« Le choix du système d’exploitation Linux est stratégique pour Alcatel »

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