Couverture ElectroniqueS n°127

Si la TNT a pour ambition première de multiplier le nombre de chaînes diffusées, les progrès en matière de codage vidéo permettent d'envisager à terme la diffusion terrestre de programmes TVHD, ce qui devrait contribuer à briser le tabou européen de la haute définition. Explications de Patrice Bourcet, responsable du département “ Prospective ” au sein du service scientifique de la direction technique de TDF. Le 1er janvier 2004, la société de production Alfacam a lancé Euro 1080, la première chaîne de télévision européenne par satellite en vraie haute définition. Pour le moment, il semble que ce soit une initiative isolée. Existe-t-il néanmoins, à l'échelle du Vieux Continent, des efforts visant à promouvoir l'introduction de la TVHD ?L'Union européenne de radiodiffusion (UER) a récemment mis sur pied un groupe de travail qui porte le nom de B/TQE (Television Quality Evolution) et qui s'est réuni trois fois depuis sa création fin 2003. Son mandat est de fournir des directives relatives aux stratégies alternatives possibles pour la production, la postproduction et la diffusion de la TV numérique, compte tenu de l'évolution sensible des performances des techniques numériques, de l'arrivée du DVD-HD et du décollage des ventes des grands écrans plats en Europe. En effet, sur ce type d'afficheurs, si l'on souhaite que la qualité des images de contenus radiodiffusés soit équivalente à celle des images provenant de contenus DVD, des mesures ad hoc doivent être prises, car les artefacts du codage MPEG-2 temps réel y sont perceptibles. Dans ce cadre, le groupe de travail de l'UER assure également une veille technologique sur de nombreux aspects liés à la TVHD. La radiodiffusion de programmes TVHD fera donc certainement l'objet de nouvelles recommandations européennes propres à ce type de format (algorithme de codage, ratio d'affichage, nombre de lignes et de pixels par ligne, nombre d'images par seconde, balayage progressif ou entrelacé, système de restitution sonore, etc.).Les experts de ce groupe de travail doivent forcément s'intéresser à la diffusion éventuelle de programmes TVHD sur les réseaux TNT…La TVHD pour les réseaux TNT est l'un des arguments techniques avec la portabilité et la mobilité qui militent en faveur du maintien en l'état des bandes de fréquences réservées à l'audiovisuel depuis les accords de Stockholm signés en 1961. Grâce à l'avènement du numérique et du codage MPEG-2 en particulier, il est possible aujourd'hui d'injecter cinq à six chaînes TV de qualité standard dans un canal radio de 8 MHz, contre une seule en analogique. Pour certains, ce “ gain ” devrait être mis à profit pour transférer certaines ressources spectrales attribuées à l'audiovisuel vers d'autres domaines comme les radiocommunications. Or, si on applique la recommandation de codage MPEG-2 actuellement en vigueur, la diffusion d'un programme de télévision en haute définition nécessite un débit numérique 3 à 6 fois supérieur à celui d'une qualité standard soit jusqu'à l'intégralité d'un canal UHF pour une chaîne. On pourrait donc, par précaution, non seulement maintenir, mais revendiquer plus de spectre pour la radiodiffusion télévisuelle terrestre. En fait, les progrès des codages vidéo vont permettre d'éluder cette question et de marier quantité et qualité sans modifier les bandes de fréquences allouées à l'audiovisuel. La bataille pour le partage du spectre entre le monde de la radiodiffusion et celui des radiocommunications s'est d'ailleurs progressivement transformée en une volonté de développer des solutions de coopération plutôt que d'exclusivité.Quels sont les enseignements tirés des premières démonstrations de diffusion TVHD en DVB-T ?Certains radiodiffuseurs allemands, britanniques, suédois, finlandais ou italiens ont lancé ou s'apprêtent à lancer des expérimentations de diffusion de programmes TVHD dans des canaux terrestres DVB-T. Les premiers témoignages, qui seront certainement mis à profit par le groupe de travail B/TQE, tendent à montrer que le codage MPEG-2 utilisé dans sa version haute définition est relativement décevant en termes de qualité versus bande passante consommée (Euro 1080 diffuse d'ailleurs ses images codées en MPEG-2 avec un débit de 20 Mbit/s). Il est donc nécessaire d'utiliser des algorithmes de codage vidéo plus performants, et les mieux placés actuellement sont H.264 et VC9, connus également sous les appellations respectives de MPEG-4 Part 10 (ou MPEG-4 AVC) et Windows Media Version 9. Ces deux algorithmes promettent la diffusion d'une image TVHD d'excellente qualité avec un débit réduit d'environ 50 % par rapport au MPEG-2 actuel. Le seul problème est qu'il n'existe pas encore, sur le marché, d'équipements industrialisés capables de coder ou de décoder en temps réel des images TVHD avec ces algorithmes. En conséquence, il est difficile pour le moment de faire de véritables démonstrations de radiodiffusion “ temps réel ”. Toutefois, dès que les premiers prototypes de codeurs et décodeurs TVHD en temps réel (H.264 ou VC9) seront disponibles, ce qui devrait être le cas dans la deuxième moitié de cette année, TDF proposera son savoir-faire pour leur mise en &oelig;uvre, dans le cadre d'expérimentations qui seront jugées pertinentes.Ce sera avant le démarrage de la TNT en France… qui se fera sans TVHD…(*)La TNT avec les paramètres et le dimensionnement préconisés par le CSA est aujourd'hui sur les rails. La date de son démarrage officiel sera connue très bientôt et devrait se situer dans la fenêtre de tir proposée par le CSA, soit entre le 1er décembre 2004 et le 31 mars 2005. Ce train est, espérons-le, un TGV mais dont le départ se fera effectivement sans wagon TVHD.Nous avons choisi en France le lancement d'une TNT bien spécifiée, ce qui a l'avantage de minimiser les risques techniques. En contrepartie, l'évolution sera plus difficile. Je ne peux m'empêcher de citer l'exemple américain, où l'introduction de la télévision numérique s'est effectuée en autorisant les 18 formats possibles de la norme dite ATSC (Advanced Television Systems Committee) et en recommandant que chaque téléviseur vendu puisse afficher une image, quel que soit le signal reçu. Bien entendu, pour obtenir une image HD, il faut une émission HD et un téléviseur HD. Mais, dans tous les cas, la compatibilité est respectée et chaque solution technique peut avancer à son rythme économique, car c'est finalement toujours le marché qui décide. Cette solution a permis un démarrage de la télévision numérique plus ouvert, et le marché des formats haute définition a bien progressé en 2003. L'Europe a choisi une autre approche, l'introduction de la TVHD étant un sujet relativement tabou depuis l'échec de la TVHD des années 1990. En conséquence, si nous voulons de la TVHD, nous devrons donc non seulement changer de décodeur, mais aussi d'afficheur (écran ou projecteur) dans la mesure où les formats HD s'affichent en 720 ou en 1080 lignes.VC9, H.264. Quelle est la technologie la mieux placée pour séduire les radiodiffuseurs ?D'un point de vue perceptuel, ces deux algorithmes donnent des résultats sensiblement équivalents, bien qu'aucune étude réellement complète et indépendante n'ait encore permis de comparer “ objectivement ” leurs performances “ subjectives ”. L'algorithme H.264 a pour lui l'avantage de se poser en recommandation internationale avalisée autant par l'ISO/IEC que l'UIT. Toutefois, Microsoft a compris que le monde de la radiodiffusion est un monde particulièrement attaché à l'utilisation de normes ouvertes. Aussi l'éditeur a-t-il largement ouvert l'accès à VC9, qui est désormais licencié par plusieurs fabricants de circuits et d'équipements. Cet algorithme de codage vidéo a également été soumis à l'organisme SMPTE (Society of Motion Picture and Television Engineers) et pourrait devenir, lui aussi, une spécification internationale. La grande différence avec H.264, c'est que VC9 est issu du monde informatique. Il a été conçu pour une connectivité IP , et non pour être inséré dans des trames au format MPEG-2 TS, un format que les radiodiffuseurs ont beaucoup plus l'habitude de manipuler. Il souffre également d'une incompatibilité avec l'entrelacement des images, qui reste une spécificité de la radio-diffusion télévisuelle. Etant issu de ce monde, j'ai naturellement une préférence pour le H.264, mais la question se situe clairement dans une prospective technico-économique d'évolution des technologies. Il ne s'agit pas uniquement d'un choix entre deux algorithmes. Le choix de VC9, ou sa suprématie de fait, serait en effet une étape de plus vers le “ tout informatique ”, dont le développement menace fortement la rentabilité des techniques spécifiques à des marchés plus restreints, comme celui de la télévision. Mais c'est un autre débat !(*) NDLR : la réponse à cette question a été amendée par la direction de la communication externe de TDF avec l'accord de l'auteur.

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