Couverture ElectroniqueS n°127

Dans sa version actuelle, le projet français de télévision numérique terrestre est anachronique, car il fait l'impasse sur deux technologies majeures : la TVHD et la possibilité de recevoir des programmes TV dédiés sur des appareils mobiles de poche. Tel est l'avis de Gilles Maugars, directeur technique de TPS. Celui-ci est partisan d'une autre approche qui puisse prendre en compte ces deux innovations. Le groupe TF1 n'a jamais caché son opposition au projet français de télévision numérique terrestre tel qu'il existe aujourd'hui. Présent à Lyon lors du lancement de la télévision sur ADSL par France Télécom et TPS, Patrick Le Lay a toutefois précisé que TF1 n'était pas contre la TNT, mais que cette dernière devait être un vecteur de technologies comme la haute définition et la mobilité. Pouvez-vous développer cette prise de position ?Il y a longtemps que nous estimons que le projet TNT français actuel ne correspond à aucune réalité économique et qu'il risque de rompre l'équilibre global de l'audiovisuel dans l'Hexagone. Ce projet nie en effet l'évolution d'un paysage audio-visuel qui se développe grâce à des opérateurs distributeurs de bouquets de chaînes capables de financer, à la fois, le réseau, le déploiement commercial et les nouveaux contenus, grâce à une activité de télévision payante. D'ailleurs, on peut constater que la TNT “ à la française ” ne recueille plus de soutien actif de l'ensemble de l'industrie. Ce qui n'est pas vraiment étonnant : les analyses font état de pertes sur dix ans pour les acteurs qui s'y lanceraient… et cette situation n'est guère favorable à l'arrivée de nouveaux entrants. Par ailleurs, l'évolution des technologies, surtout depuis 2003, fait que le projet TNT français s'avère également anachronique ! Il fait l'impasse sur la TVHD, alors que ce sera l'innovation majeure des prochaines années. La diffusion numérique terrestre de programmes TVHD a déjà démarré aux Etats-Unis mais aussi au Japon et en Australie ! D'autre part, il ne fait pas mention du 16/9, alors que le parc de téléviseurs de salon sera majoritairement à ce format d'ici deux ans. Enfin, il ne fait aucune allusion à la mobilité, alors que l'ensemble des opérateurs et des industriels du marché des mobiles, Nokia notamment, s'activent tout particulièrement sur ce sujet. Il a suffi de quelques mois pour que soit finalisée la spécification DVB-H, qui traite de la diffusion hertzienne de programmes TV numériques dédiés mobiles vers des terminaux de poche. Or, le projet TNT actuel, dont le lancement officiel est maintenant prévu pour 2005, est basé sur une norme DVB-T élaborée il y a plus de dix ans !Quelle est donc, à votre avis, l'attitude à adopter face à l'émergence de ces technologies ?Il faut introduire les trois évolutions incontournables de la télévision que sont le format 16/9, la TVHD et la mobilité, dans un nouveau projet TNT remanié, plus ambitieux, crédible et… acceptable politiquement. Ce projet pourrait capitaliser sur le travail en cours de libération de six multiplex TNT, satisfaire l'industrie audio-visuelle et le consommateur TV, et ouvrir de nouveaux horizons d'activités. Mais, au préalable, deux constatations s'imposent. En premier lieu, il faut bien voir que le 16/9 et la haute définition concernent directement les chaînes qui émettent aujourd'hui en hertzien, car ce sont elles qui disposent à la fois de programmes phares et de contenus majeurs. Elles ont, en outre, toujours été à l'origine des mutations de fond du secteur (TV couleur, stéréo, numérisation de la production, etc.). En tout état de cause, il me paraît plus logique de distribuer TF1 et France 2 en haute définition et en 16/9 à tous les foyers gratuitement que de diffuser en hertzien un ersatz de bouquet thématique extrait de la télévision payante, en faussant par ailleurs le marché par une offre en clair subventionnée par les fonds publics. En second lieu, les bandes UHF et VHF étant limitées en capacité et, de ce fait, incapables de transmettre des bouquets TV complets aussi riches que ceux disponibles sur le satellite, le câble ou l'ADSL, il apparaît logique de ne pas chercher à dupliquer de façon imparfaite et coûteuse les services de diffusion TV payante actuels. Il faut plutôt utiliser de façon spécifique le réseau hertzien pour ce qu'il peut lui seul faire, à savoir diffuser des images de télévision en proximité et sur des mobiles.Dans ces conditions, quels peuvent être les axes essentiels d'une proposition alternative pour la TNT française ?Afin de faire avancer le débat, nous avons développé une proposition de projet TNT basée sur deux axes essentiels : la TVHD et la mobilité. Pour être plus précis, nous proposons la diffusion d'une offre TVHD en 16/9 et en clair des six programmes hertziens qui émettent en clair actuellement, c'est-à-dire TF1, France 2, France 3, M6, Arte et France 5. Avec un débit vidéo compris entre 10 Mbit/s et 12 Mbit/s pour chaque programme, il serait alors possible de diffuser deux chaînes par multiplex, compte tenu des signaux de services et de l'audio associés aux images dont l'utilisation systématique du son 5 canaux. Trois multiplex sur six seraient ainsi occupés par la TVHD en clair.Sur un quatrième multiplex, nous proposons la diffusion cryptée, toujours en haute définition et en 16/9, de Canal+ et de TPS Star, les chaînes phares des deux bouquets français dont les programmes sont diffusables pratiquement immédiatement en HD 16/9. Seules ces chaînes peuvent en effet justifier la complémentarité avec une offre en clair sur un réseau aussi coûteux. Cette diffusion serait bien sûr compatible avec les téléviseurs standards grâce à des sorties Péritel adaptées sur les décodeurs numériques. Cette diffusion TVHD pourrait, en outre, reposer sur des paramètres optimisés pour une réception dite “ portable ”, c'est-à-dire une réception en intérieur qui ne nécessite pas de raccordement à une antenne extérieure ou collective. Cela implique, là aussi, une révision de certains choix de planification actuels. Ainsi, les sites d'émission choisis ne devraient pas être systématiquement ceux utilisés pour la diffusion analogique, souvent éloignés des villes, et il faudrait modifier les paramètres techniques de diffusion terrestre, en optant notamment pour un intervalle de garde plus large dans le codage COFDM et une modulation plus robuste, c'est-à-dire 16QAM au lieu de 64QAM.Et pour les deux multiplex restants ?Dans les deux multiplex restants, nous proposons la diffusion d'une offre TV à débit réduit vers les terminaux mobiles de poche. Un débit de 384 kbit/s pour l'audio et la vidéo permettrait de créer plus de 30 chaînes sur un multiplex de 15 Mbit/s, valeur maximale autorisée pour répondre aux contraintes de mobilité. Grâce à la norme DVB-H et aux nouveaux formats de compression (H.264, Windows Media 9 ou autres), les images seront en effet partout disponibles, y compris en mouvement. Le cinquième multiplex pourrait donc diffuser en clair 30 chaînes dédiées aux mobiles, dont la duplication des six chaînes hertziennes traditionnelles, et des programmes aux contenus décalés par rapport aux chaînes actuelles, comme des programmes locaux ou des chaînes thématiques. Le sixième multiplex, quant à lui, serait réservé à la diffusion cryptée de chaînes TV à débit réduit vers les mobiles, accessibles par exemple dans le cadre de contrats de téléphonie mobile. Cette diffusion serait naturellement couplée avec une voie de retour de type GSM/GPRS ou UMTS.Comment comptez-vous faire accepter une telle proposition ?Une proposition de refonte du plan actuel doit bien sûr faire l'objet de concertation, en particulier avec les opérateurs de téléphonie mobile et les constructeurs d'électronique grand public directement concernés. Ces derniers semblent toutefois très intéressés par une TNT prenant en compte les dernières évolutions technologiques, car ce serait un bon moyen pour eux de vendre des téléviseurs haut de gamme et des produits de home cinéma. Des sociétés comme Thomson, Philips ou Sony n'ont en effet rien à gagner dans le projet TNT actuel. Comme on le voit en Grande-Bretagne, une TNT basique permet seulement à quelques constructeurs réactifs, de type start-up ou constructeur asiatique, de tirer leur épingle du jeu en vendant des “ boîtes à zapper ”.Pour générer une dynamique, il faut également mettre en place des plates-formes technologiques et des expérimentations sur le terrain, couvrant en particulier les aspects liés à la mobilité. Cela sera fait dans le courant du premier trimestre 2004.(*) Voir notre numéro du 11 décembre 2003.

« La TNT à la française doit inclure la TVHD et la réception sur téléphones portables »

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