Couverture ElectroniqueS n°127

La BEI (Banque européenne d'investissement) a lancé en 2000 le programme I2I (“ Initiative Innovation 2010 ”), qui vise à accorder des prêts à des projets de R&D et d'innovation à hauteur de plus de 50 milliards d'euros d'ici la fin de la décennie. « Pour y prétendre, il convient d'avoir des perspectives de résultats financiers, et pas seulement technologiques », explique Philippe de Fontaine Vive, vice-président de la BEI. Dans le cadre de vos contacts avec les pouvoirs publics, les industriels et les responsables de programmes de R&D français, à quelles difficultés vous heurtez-vous ?Notre principale difficulté est de ne pas avoir toujours en face de nous des structures ou de projets qui s'inscrivent dans une logique économique. Les caractéristiques technologiques des projets sont toujours mises en avant, mais les perspectives de résultats financiers ne sont souvent pas abordées. Ce thème n'est pas assez considéré en France comme une question pertinente. Le problème vient du fait que le secteur de la recherche est essentiellement basé sur des structures publiques qui ont pour habitude de recevoir des subventions. La recherche doit-elle être un produit totalement subventionné ou alors un bien économique vivant de ressources publiques et privées, mais destiné à être valorisé ? Nous ne sommes pas dans cette seconde logique en France et c'est pour cela qu'un pont entre le monde de la finance et celui de la recherche a des difficultés à se mettre en place. En tant qu'institution financière, nous avons besoin d'avoir pour interlocuteurs des organismes publics et privés ayant une logique de résultats financiers. C'est uniquement à cette condition qu'une dette peut être remboursée sur le long terme.Des prêts ont été accordés par la BEI à des grandes entreprises telles qu'Alcatel, Ericsson et Infineon, ou encore à l'Imec, laboratoire belge de recherche en microélectronique. Comment une relation de confiance a-t-elle pu s'instaurer avec eux ?Comme tout banquier, nous demandons des garanties financières et non pas seulement l'assurance que le projet présenté soit un bon projet sur le plan technologique. Ce qui est le plus important à nos yeux, c'est sa validité financière. Après avoir examiné la solvabilité de l'entreprise ou de l'organisme qui doit rembourser l'emprunt, la BEI vérifie que le projet satisfait aux critères sociaux et économiques de l'Union européenne, par exemple que l'entreprise n'exerce pas d'activité polluante. Dans le cas de travaux de recherche appliquée, il faut nous démontrer que le projet va générer des résultats commercialisables sur le marché. Nous savons que cela peut prendre plusieurs années et nous nous efforçons donc d'instaurer une relation intelligente. Lors de l'octroi d'un prêt, nous pouvons accepter, pour faire face au calendrier de vie du projet, une période de grâce permettant de reporter le début du remboursement du capital. Mais ce dernier devra alors commencer à partir du moment où la recherche aura abouti à un produit commercialisable. Dans tous les cas, il nous faut des garanties. Il faut que quelqu'un prenne le risque final. Si nous sommes face à une entreprise ou à un centre de recherche qui n'a pas la solvabilité suffisante pour être éligible à nos financements, il faut que la garantie soit apportée par une Région, un Etat, un établissement public ou encore par le propriétaire de l'organisme de recherche qui demande le prêt, afin que nous puissions être couverts en cas d'échec du projet. Par exemple, cas d'école, si le Léti nous proposait un projet et que le CEA acceptait de nous fournir une garantie, nous accorderions un prêt au Léti. Il y a encore 2 ou 3 ans, la BEI ne retenait que les dossiers d'entreprises ayant un indice de notation A, c'est-à-dire un indice de notation financière très élevé. Nous étions donc, jusqu'à présent, très exigeants. Nous avons, depuis, lancé un programme expérimental, baptisé MFS (“ Mécanisme de financement structuré ”), qui permet de réaliser une analyse adaptée à chaque cas. Il s'agit toutefois d'un programme expérimental qui n'est pas encore très développé en France.Quelles sont les démarches à entreprendre pour déposer un dossier ?Au-delà de 25 M d'euros de financement, les dossiers peuvent être instruits individuellement et directement par la BEI. Il y a maintenant un bureau de la BEI à Paris où les rencontres avec des responsables sectoriels peuvent avoir lieu. Mais beaucoup de chefs d'entreprise n'ont pas de tels besoins financiers. Leurs projets se chiffrent à quelques dizaines ou quelques centaines de milliers d'euros, voire quelques millions d'euros. Pour cette raison, nous avons développé des relations avec les systèmes bancaires nationaux auxquels nous avons accordé des prêts globaux. Ce sont donc ces banques locales qui montent les dossiers d'investissement avec des demandeurs qui peuvent ainsi être des PME. Il y a un peu plus d'un mois, j'ai proposé aux banques françaises d'envisager des prêts ciblés sur la recherche et l'innovation qui seraient commercialisés par le circuit bancaire. Nous ne pouvons toutefois pas encore parler de résultats, car c'est une initiative trop récente.Le sénateur Laffitte souhaite le lancement d'un grand emprunt de 150 milliards d'euros pour permettre à l'Europe de rattraper son retard en matière de recherche. Cette proposition vous semble-t-elle crédible ?Dans le cadre de notre programme Initiative Innovation 2010, nous prévoyons d'accorder 40 milliards d'euros de prêts à la recherche européenne d'ici la fin de la décennie. Mais lorsque le sénateur Laffitte déclare que la BEI suivra les ministres européens s'ils s'engagent à accroître les dépenses de recherche, il donne l'impression que le problème se situe du côté des financiers. Au cours des six derniers mois, combien d'entrepreneurs ont fait la démarche de venir nous rencontrer pour nous présenter leurs projets de recherche ? Pratiquement aucun. Le problème n'est pas de savoir quel montant il faut attribuer à un éventuel grand emprunt, mais de se demander qui va nous faire des propositions concrètes. Il n'existe pas actuellement de travail conjoint entre les financiers et les chercheurs qui permettrait d'envisager de dégager des produits financiers à partir de travaux de recherche. Il nous faut savoir quelles plus-values pourraient être obtenues à partir de ces projets. Aux Etats-Unis, la commercialisation des brevets est une pratique courante. Ce n'est pas suffisamment le cas en Europe, notamment de la part des centres de recherche publics.Pourquoi ne pas s'engager dans de grands projets structurants comme le VDSL, successeur de l'ADSL, qui pourrait être généralisé à l'ensemble du territoire national ?Si les pouvoirs publics français ou des collectivités locales décidaient de se lancer dans de tels projets, la BEI pourrait leur accorder les prêts nécessaires. Il n'y a pas besoin de lancer un grand emprunt pour cela.L'essor de l'industrie du semiconducteur à Taïwan s'est fait par l'octroi de prêts à taux zéro aux entreprises grâce à l'intervention du gouvernement taïwanais. Le système européen permettrait-il une intervention analogue des Etats membres ou faudrait-il une intervention au niveau de l'Union européenne ?Le prêt à taux zéro dont les intérêts d'emprunt sont donc pris en charge par un organisme public ne peut être envisageable que sur le plan européen pour ne pas créer de distorsion de concurrence entre les Etats membres. Cela dit, il faut savoir que la Commission européenne ne s'est jamais déclarée favorable à la bonification d'intérêts. Cela soulève une question de fond : doit-on aider les régions défavorisées dans le cadre des fonds structurels européens tels que le Feder, ou doit-on apporter un soutien à des territoires qui sont déjà riches ?Le programme de R et d'investissement européen “ Quick-start ”(*) va-t-il être soutenu par la BEI ?Ce programme, présenté par la Commission et adopté par les ministres européens à la fin de l'année 2003 dans le cadre de “ l'initiative européenne de croissance ”, fait l'objet d'une étroite concertation avec la BEI. Il répond, en effet, à nos critères. L'un des projets de ce programme va bientôt démarrer et nous sommes prêts à le financer.(*) Le coût de ce programme est évalué à quelque 62 milliards d'euros, dont 14 milliards pour la R et l'innovation.La BEI : du soutien des Etats au soutien à l'industrie et à la rechercheLa BEI (Banque européenne d'investissement) est une institution financière qui a été créée en 1958, alors que l'Europe n'avait que six Etats membres et utilisait quatre monnaies, pour essayer de faire converger ces nations vers une économie dynamique. A l'origine, sa vocation était donc d'apporter des financements aux Etats, en particulier en accordant des prêts à des projets régionaux d'infrastructure. L'Italie en a notamment bénéficié pour rattraper son retard par rapport aux autres grandes nations qui composaient le Marché commun de l'époque. Aujourd'hui, 46 ans après, l'Europe compte 25 membres et dispose d'une monnaie, l'euro, avec déjà douze membres qui l'ont adoptée. Même si un certain nombre de ces membres n'ont pas encore choisi la monnaie unique, un grand marché financier a vu le jour. Désormais, la BEI affiche clairement que sa vocation est d'épauler les entreprises impliquées dans les investissements liés aux infrastructures mais aussi, plus récemment, à la recherche. Les chefs d'Etat et de gouvernement européens ont en effet décidé, en 2000 à Lisbonne, que, pour avoir un taux de croissance comparable à celui des Etats-Unis, il convenait de placer l'innovation au premier rang des priorités européennes. Ils ont donc demandé à la BEI d'accorder des prêts à long terme (20 ans et plus) aux acteurs de ce domaine. Mais cela impose d'établir des liens étroits entre le monde de la finance et celui de la recherche, ce qui ne va pas de soi… Par ailleurs, partant du constat que le capital-risque a du mal à se développer en Europe, la BEI soutient le développement de cette activité, par le biais de sa filiale, le Fonds européen d'investissement (FEI). Le FEI est à présent, avec la Caisse des dépôts et consignations, l'un des premiers intervenants en France dans le domaine du capital-risque. Mais ce fonds agit toujours, naturellement, avec des partenaires privés, qui demeurent encore très prudents.

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