Couverture ElectroniqueS n°127

Face à la migration de la production électronique, Derek Lidow, président et CEO de la société d'études iSuppli, estime que l'Europe ne doit pas s'acharner à vouloir conserver ses emplois de production. Ce serait une cause perdue d'avance. Mais au contraire chercher à développer ceux liés à la conception (nous publierons un avis complémentaire en janvier prochain). Quel jugement portez-vous sur la réaction actuelle de l'Europe face aux délocalisations ?Il est légitime que les gouvernements européens se sentent concernés par l'exode des productions électroniques vers les pays à bas coûts salariaux. Mais en concentrant leur attention presque exclusivement sur le nombre de jobs nationaux perdus, ils risquent de gaspiller leurs dernières chances de jouer un rôle majeur sur la scène mondiale de la high-tech. Ils risquent en tout cas de s'engager dans une bataille perdue d'avance.Comment voyez-vous évoluer les migrations vers la Chine ?Nous sommes engagés dans une évolution de fond, de long terme, dans laquelle la Chine joue un rôle majeur. En 2000, la région Asie-Pacifique entrait pour 30,2 % dans la production mondiale d'électronique selon iSuppli. Nous nous attendons à ce qu'elle en génère 47 % en 2007. Entre ces mêmes dates, la production européenne (EMEA) passera de 20,1 % à 15,6 %, ce qui correspond en fait à une production à peu près stable en absolu d'une année sur l'autre. L'Europe n'est pas seule concernée par le phénomène : la région Amérique devrait passer de 30 % à 22 % de la production mondiale de 2002 à 2007. Même des régions comme l'Europe de l'Est ou le Mexique devraient sentir la pression des délocalisations vers la Chine.La récente crise a accéléré les phénomènes : la décroissance de 11,4 % des productions électroniques en 2001 s'est surtout faite aux dépens de l'Occident. Et les croissances actuelles se font surtout à l'avantage de la Chine. Nous estimons que, de 2002 à 2007, la production mondiale d'électronique va s'accroître de 299 Md$ et que, sur cette somme, 232 Md$, soit 78 %, reviendront à la région Asie-Pacifique.Dans ce contexte, les emplois liés à la production vont donc se créer ailleurs ?Ils vont aussi migrer. Et c'est bien la raison pour laquelle certains gouvernements de l'Ouest s'intéressent au problème : cette migration risque en effet de peser lourd dans les bulletins de vote. Leur question est pour l'instant simple : “ que peut-on faire pour arrêter l'hémorragie et inverser la marée de la migration vers la Chine ? ” Or, pour nous, cette question est mal posée. Si l'on ne considère que le sauvetage d'emplois existants, la partie est perdue d'avance car les solutions possibles ne peuvent être que limitées et peu attractives : les gouvernements vont être obligés de ressortir de vieilles recettes du type subventions pour des fabrications locales. Non seulement ces recettes sont discutables vu leur coût et leurs effets dans le cadre des accords de commerce internationaux, mais elles sont contre-productives sur l'essentiel, à savoir maintenir localement la meilleure compétitivité possible pour gagner sur l'échiquier de l'électronique mondiale. Les sociétés dont la survie dépend de subventions n'ont ni l'esprit ni les moyens de développer des produits à succès.L'écart des coûts entre l'Occident et la Chine est trop important pour songer à lutter sur ce thème. Les consommateurs, partout dans le monde, se sont en outre trop habitués non seulement à acquérir leurs produits à bas coût, mais aussi à voir les prix sans cesse baisser. Si l'Europe s'acharnait trop à vouloir sauver sa production, elle n'aurait plus les moyens de développer ce qui fait sa force, à savoir la conception.L'Europe doit-elle donc tout miser sur la conception ?L'Europe doit d'abord se demander comment elle doit se positionner pour exploiter les progrès incessants de l'électronique. Exploiter plus la qualité que la quantité. Se focaliser sur la création d'emplois à haut salaire. L'Europe regarde trop ce qu'elle perd et n'observe pas assez ce qui n'est pas assez dynamique mais qui a du potentiel. En particulier la conception. Les gouvernements européens devraient plus se mobiliser sur ce thème. Mettre en place des centres de conception est relativement aisé et n'est pas consommateur de capitaux. En outre, cela respecte l'environnement. Le seul inconvénient est que les centres de conception emploient moins de monde que les usines. Mais il faut bien voir que les hauts salaires améliorent les niveaux de vie dans les régions où ils sont pratiqués à l'inverse de la sauvegarde d'emplois à bas salaires. Chaque euro additionnel sur les salaires a un effet démultiplicateur sur l'économie : plus de dépenses et plus d'impôts conduisent à plus de croissance économique et plus d'emplois créés. C'est comme cela que les gouvernements devraient penser. Ils devraient donc d'abord réfléchir aux moyens de développer une industrie tournée autour de la conception électronique qui soit la plus efficace possible. Et à cette occasion faciliter par exemple la prise de brevets européens, mieux protéger la propriété intellectuelle, et lutter pour que cette propriété intellectuelle soit mieux reconnue à l'étranger. Il s'agitaussi d'investir en personnels et équipements pour éduquer, former et reformer les personnels concernés. J'estime en particulier que les programmes éducatifs concernant le design souffrent trop en Europe d'un manque d'équipements de laboratoires et d'ordinateurs dédiés à la conception et à la simulation.L'Europe de l'électronique est à une croisée de chemins. Soit elle s'épuise à consommer ses actifs pour sauvegarder des productions, soit elle s'adapte et concentre ses forces sur la conception. Dans ce cas, il n'y a aucune raison pour qu'elle ne continue pas à jouer un rôle majeur sur l'échiquier mondial.

L’Europe doit concentrer toutes ses forces sur la conception

Couverture ElectroniqueS n°127

IBM grave les premières puces en 2 nm en abandonnant les FinFET

Zeta, le protocole LPWAN made in China, arrive en Europe

Harting invente le connecteur électronique sur mesure

L’Europe doit concentrer toutes ses forces sur la conception

Dans la même rubrique

Couverture ElectroniqueS n°127

IBM grave les premières puces en 2 nm en abandonnant les FinFET

Zeta, le protocole LPWAN made in China, arrive en Europe

Harting invente le connecteur électronique sur mesure