Couverture ElectroniqueS n°127

Gérald Santucci, chef de l'unité “ Confiance et sécurité ” à la DG de la société de l'information de la Commission européenne à Bruxelles, estime que l'industrie européenne de la carte à puce doit jouer ses meilleurs atouts pour inventer une carte à puce évoluée en phase avec l'ère de “ l'intelligence ambiante ”. Il y va, estime-t-il, de son avenir. Le contrat pour le projet européen Inspired, retenu dans le cadre du 6e PCRD , doit être finalisé sous peu. C'est un projet intégré qui rassemble pour la première fois bon nombre des acteurs majeurs de l'industrie de la carte à puce. Quels sont les enjeux ?Le projet Inspired, qui s'inscrit dans le 6e Programme-cadre de recherche et développement technologique, se présente d'ores et déjà comme le porte-drapeau de l'industrie européenne de la carte à puce. Son but ultime est clair : il s'agit de créer d'ici trois ans, pour les cartes à puce intelligentes, un nouveau standard susceptible d'être adopté par l'ensemble de l'industrie. Ce projet vise à concevoir, développer et montrer en vraie grandeur il y a obligation de résultats la prochaine génération de technologies capables d'offrir les moyens de sécuriser les accès aux e-services. La carte à puce que nous connaissons aujourd'hui devrait ainsi laisser la place, à la fin de la décennie, à un système personnel intelligent de type système sur une puce, déjà baptisé TPD (Trusted Personal Device). Ce serait une formidable réussite si nous parvenions en Europe à faire dans ce domaine ce que nous avons déjà accompli dans celui de la téléphonie mobile avec l'établissement d'un standard comme le GSM, qui a conquis l'industrie mondiale.L'industrie européenne de la carte à puce n'est-elle pas pourtant déjà dominante ?…Elle l'est en effet pour des raisons historiques, et encore certainement d'un point de vue industriel. Mais elle est confrontée à des difficultés. Il ne faut pas faire l'autruche : elle doit faire face à une concurrence de plus en plus vive. Ses coûts de développement et de production sont élevés, et les temps de mise sur le marché sont plus lents qu'ailleurs. Les différents bureaux d'études passent beaucoup de temps à développer les mêmes applications sur des architectures différentes. Ces dernières, matérielles ou logicielles, manquent d'interopérabilité, et, du coup, sont aussi un obstacle à l'utilisation d'outils de développement évolués et optimisés (compilateurs, langages évolués). La carte à puce manque également de connectivité par rapport au monde de l'électronique grand public et à celui de l'informatique. Elle va devoir à l'avenir “ parler Wi-Fi ”, Bluetooth ou IPv.6 de façon transparente. Enfin, le manque d'infrastructures capables de servir d'interfaces naturelles à l'utilisation de la carte à puce se fait cruellement sentir. Il va donc falloir créer de nouveaux types d'interfaces, et renverser l'ancien paradigme qui obligeait l'utilisateur à s'adapter à la technologie. Le temps de “ l'après-souris ”, de “ l'après écran ”, arrive : ce que l'on appelle l'intelligence ambiante un nouvel espace numérique issu de la révolution des technologies de l'information et des communications, caractérisé par son omniprésence, une certaine forme de conscience, son intelligence, et aussi par les interactions naturelles va réclamer des interfaces techniquement très évoluées et transparentes. La technique va devoir s'adapter à l'utilisateur et non l'inverse.Le projet Inspired vise à constituer une réponse efficace et intelligente à ces questions. L'enjeu est immense pour l'Europe. La concurrence devenant de plus en plus vive sur les applications existantes, la voie du succès se trouve du côté de l'innovation l'innovation technologique, bien sûr, mais également l'innovation dans les usages. Si nous ne misons pas suffisamment sur l'innovation, le risque de voir l'industrie - européenne de la carte mise hors jeu est réel.Les précédents projets touchant de près ou de loin à la carte à puce lancés dans le cadre du 5e PCRD ont-ils déjà porté des fruits ?De gros efforts ont été faits depuis 1998. Le 5e PCRD a servi de cadre et de catalyseur à 65 projets touchant au domaine de la carte à puce. Ces projets ont représenté un budget de l'ordre de 180 millions d'euros, dont 104 directement financés par le programme-cadre. Ils ont porté sur les nouvelles technologies de la carte à puce, les méthodologies et les outils de développement, et sur la mise au point de composants réutilisables de façon à exploiter au mieux le potentiel de la carte à puce. Ils ont finalement servi de fondations à de nouvelles applications comme le vote électronique ou les transactions électroniques dans le domaine professionnel. Sept de ces projets ont été, par ailleurs, très utiles pour offrir un contenu à l'initiative politique eEurope Smart Cards initiative . Néanmoins, en dépit de ces aspects positifs, certains résultats notoires (extension et enrichissement du concept de carte à puce, applications inédites, développement de la coopération entre les acteurs principaux) ont été trop éparpillés. Les projets ont en outre été pilotés par un trop petit nombre d'acteurs. Ils ont été encore trop orientés vers des solutions propriétaires et hétérogènes. Le projet Inspired va devoir conjurer ce danger. Il a les atouts pour y parvenir.Quels sont ces atouts ?L'occasion est là, la volonté est réelle, et les plus grands acteurs industriels sont au rendez-vous. Mais il faut reconnaître que la barre a été placée très haut. Les difficultés techniques, mais aussi organisationnelles, et même stratégiques, sont considérables. A l'inverse, il faut noter que le projet dispose de la “ masse critique ” nécessaire pour les surmonter. D'abord en termes de moyens : un budget de 17 millions d'euros, dont 9,2 apportés par la Commission européenne, alors que dans le programme-cadre précédent la contribution communautaire s'élevait en moyenne à 2 millions d'euros. Ensuite du point de vue du nombre des participants : il y en a 19, alors que le nombre moyen tourne généralement autour de 8 ou 12. Et, surtout, ces partenaires offrent un éventail impressionnant de compétences. Plus de 80 % de l'industrie de la carte sont représentés. Enfin, si l'on considère la durée du projet, 3 ans, il correspond à un bon équilibre temporel entre les exigences de la R&D (réaliser de véritables avancées technologiques) et celles de l'industrie (assurer sa survie et sa profitabilité sur un marché mondial de plus en plus concurrentiel). Mais il ne faut jamais perdre de vue que les moyens financiers ne sont que le “ sang ” qui permet de vivre. Le plus important est d'avoir la volonté de coordonner ses mouvements et d'avancer dans la bonne direction. Pour ma part, je suis convaincu que, grâce au projet Inspired, le TPD va s'imposer comme le concept idoine pour penser la prochaine génération des applications sécurisées de la carte à puce.(1) Voir page 6.(2) Les cinq plus grands fabricants mondiaux de cartes à puce sont rassemblés pour la première fois au sein de ce projet : Schlumberger Systems (Axalto), Gemplus, Giesecke & Devrient (G&D), Oberthur Card Systems et Orga Systems.

« Il est temps de réinventer la carte à puce »

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