« Ce sont les robots qui vont nous aider à conserver nos emplois avec l’automatisation »

Le 05/02/2021 à 13:00 par La rédaction

LA STRATÉGIE D'UN GRAND SOUS-TRAITANT TEL QU'ALL CIRCUITS EST DE S'HARMONISER AVEC DES COMPOSANTES INTERNATIONALES POUR S'AGRANDIR, MAIS ÉGALEMENT POUR POURSUIVRE SA PRODUCTION LOCALE. C'EST CE QUE PENSE BRUNO RACAULT, PDG DE ALL CIRCUITS.

Qu'est-ce qui a motivé All Circuits à implanter des usines en France, mais aussi en Tunisie et au Mexique ?

« L'électronique revient en France, en grande force », a déclaré Bruno Racault, PDG du deuxième sous-traitant français et 46 e  mondial en 2019, selon l'agence de conseil américaine New Venture Research. Le groupe et ses 2 200 salariés ont généré un chiffre d'affaires de 313 millions d'euros en 2019.

Bruno Racault. Le site de Meung-sur-Loire appartenait à Valeo. Lors de son rachat en 2009, notre but était de le faire revivre et de sauver nos emplois. Nous avons estimé être gagnants en pariant sur la qualité et l'automatisation à outrance. C'est ce qui s'est passé au bout de deux-trois ans. Cela allait pourtant à contre-courant d'une tendance où les gros volumes étaient sous-traités en Chine ou dans les pays de l'Est, les petits volumes demeurant en France. Parallèlement, nous avons racheté la partie sous-traitance de Sagemcom en 2012 : nous avions alors trois sites. Nous voulions diversifier notre chiffre d'affaires dans un autre domaine que l'automobile, augmenter notre puissance d'achats directement chez les fabricants (la part matière représente plus de 70 % de notre chiffre d'affaires), et enfin élargir notre gamme de procédés de fabrication afin d'apporter un service complet à nos clients. Les grands volumes sont principalement faits à Meung-sur-Loire, notre navire amiral, extrêmement automatisé. En Tunisie, nous faisons les produits utilisant une forte part de main-d'œuvre car le coût est moindre, tandis qu'à Bayonne, nous nous concentrons sur l'industriel et les produits grand public. Notre site au Mexique (2018) a répondu au besoin d'usines situées dans d'autres pays pour remplir nos usines françaises. Les produits que nous produisons sont les mêmes pour PSA, General Motors ou Hyundai, mais leurs acheteurs veulent se fournir par continent ; nous devons donc produire de façon idoine en Europe, aux Amériques ou en Chine. Nous devrons un jour posséder une usine en Chine afin d'être complets. Nous nous efforçons de rationaliser nos usines en leur attribuant chacune une mission particulière, ceci afin d'éviter une concurrence mutuelle. Notre but reste cependant de produire en France, mais nous devons compter pour cela sur des usines satellites nous permettant d'offrir un service complet et mondial.

Auriez-vous un commentaire à formuler sur le mouvement de relocalisation largement relayé ces derniers temps ?

Bruno Racault. All Circuits construit depuis dix ans son outil industriel. Les machines que nous possédons sont dix fois plus rapides que celles d'il y a dix ans. Cela limite la part de main-d'œuvre directe dans chaque produit, et permet de concurrencer de nouveau les pays low cost, en autorisant un niveau de qualité toujours plus élevé. Par ailleurs, il y a dix ans, les salaires chinois étaient dix fois moins élevés, aujourd'hui ils ne le sont que cinq fois moins. Pour les pays de l'Est, même constat, leurs salaires augmentent de 30 % par an, l'écart de salaire avec les pays low cost s'est donc réduit : ils sont toujours moins chers, mais de beaucoup moins. Cela nous permet de revenir dans le jeu. Nous sommes aussi en mesure d'industrialiser des produits pour les fabriquer de manière plus rationnelle et économique. Nous avons un produit, Ma Fabrique à Histoires, développé en seulement 18 mois. Il était auparavant construit en quinze minutes en Chine, contre une seule chez nous. Pas seulement parce que sa fabrication est automatisée, mais aussi car nous l'avons rede-signé. Il y avait 27 composants, il y en maintenant quatorze. Il y avait trois cartes électroniques, il n'y en a plus qu'une. Il y avait 27 vis, il n'y en a plus que quatre. Nos tarifs s'approchent ainsi de ceux des Chinois. La différence réside dans le fait que le produit est plus « propre », nécessite moins de pétrole, moins d'eau pour le fabriquer, et surtout moins de kérosène pour le ramener en France.

Le fait que le produit soit labellisé « made in France » est-il un argument majeur pour la clientèle ?

Bruno Racault. Le made in France est certes important pour nos clients, mais l'idée ultime est d'être compétitif, de refaire et de construire de l'électronique en France afin de servir les pays européens. De la même façon que nous faisons de l'électronique au Mexique afin de servir les Amériques, j'espère un jour fabriquer de l'électronique en Chine pour fournir la Chine. Nous allons donc jusqu'au bout de notre logique.

“La relocalisation en France est une réalité. Pour 2021, plusieurs contrats importants ont été signés, dont un avec Renault.

L'action du gouvernement en matière de relocalisation vous paraît-elle pertinente ?

Bruno Racault. Nous sommes attributaires d'une subvention pour relancer l'économie automobile. Cette contribution pour investir dans notre outil industriel est justement ce qui nous a poussés à le faire, donc cela est important. Nous ne pouvons pas compter uniquement sur l'État, mais c'est une bonne aide.

La question de l'emploi est souvent évoquée par rapport à la localisation ou à la relocalisation en France. Avec l'automatisation, il est souvent dit qu'il y aura probablement de moins en moins d'emplois ; cependant, ils pourraient peut-être revenir sous une forme connexe, au sein de futurs écosystèmes.

Bruno Racault. Il est complètement faux de penser que l'automatisation générera moins d'emplois. Dans l'entreprise, nous étions 400 il y a dix ans, nous sommes aujourd'hui 1 000 en France. Ce sont au contraire les robots qui nous ont sauvés, et qui vont nous aider à conserver nos emplois. La part de main-d'œuvre est clairement plus faible, mais nous produisons beaucoup plus : plus de 150 000  produits par jour sont fabriqués dans l'usine de Meung-sur-Loire.

Plus nous sommes compétitifs, plus nous pouvons accéder à des marchés importants. Les emplois évoluent. Auparavant, nos usines étaient constituées de 20 % de cadres et de techniciens, le reste d'opérateurs. Aujourd'hui, le ratio est de 50/50. Beaucoup de nouveaux métiers émer-gent, cela va se poursuivre avec l'industrie 4.0. Notre responsabilité, en tant que responsables d'entreprises, est d'anticiper l'évolution des métiers. L'un des exemples que j'aime prendre est notre concept de l'usine aux « murs de verre ». Nous vivons un monde de plus en plus communicant ou le client lui-même vient chercher l'information dont il a besoin. De ce fait, nous ne communiquons plus que par exception et le personnel administrant les ventes dans nos usines a donc tendance à diminuer. Il s'agit d'un métier qui ne va peut-être pas disparaître, mais évoluer ; à nous d'anticiper et d'accompagner ce mouvement.

Auriez-vous des préconisations à formuler à l'endroit des entrepreneurs souhaitant localiser ou se relocaliser en France ?

Bruno Racault. Nous avons choisi l'automatisation et la qualité, mais la première interrogation concerne la qualité de son entourage. Il est primordial d'avoir des personnes en phase avec votre projet industriel, qui se sentent investies, reconnues, prêtes à réaliser des efforts vers un but commun. Tout est dans les hommes. L'un des constats qui me désole est que nous sommes trop contrôlés par la finance. Avant de regarder le bas de page, il faut travailler sur son produit, son service, son but ultime… En fédérant ses usines, on trouve la réussite. La finance en est juste une résultante. L'essentiel est l'envie d'entreprendre ensemble. Nous n'avons pas réellement perdu cela ; nous l'avons vu lors du dernier CES de Las Vegas, où il y a bien un esprit français d'entreprendre. Il serait bon de transmettre et d'encourager cette envie d'aller de l'avant, et de prendre des risques.

2021, année charnière ? Bruno Racault. Oui, la relocalisation en France est une réalité. Il y a cinq-six projets de relocalisation venant de pays low cost effectifs chez All Circuits. Pour 2021, plusieurs contrats importants ont été signés, dont un avec Renault pour réaliser des calculateurs pour les voitures électriques qui n'étaient jusqu'alors pas réa lisés en France. L'électronique revient-dans notre pays, en grande force. Nous avons de nouveau une fenêtre de tir, à nous de la saisir.

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