Couverture ElectroniqueS n°127

INVENTEUR DES ÉCRANS À CRISTAUX LIQUIDES DANS LES ANNÉES 1970, L'ARCHIPEL N'A PAS EU DE CONCURRENCE DEUX DÉCENNIES DURANT DANS L'INDUSTRIE DES ÉCRANS PLATS MAIS S'EST FAIT DÉPASSER DE TOUS CÔTÉS À PARTIR DE LA FIN DES ANNÉES 1990, PAR LES CORÉENS ET LES TAÏWANAIS D'ABORD, PAR LES CHINOIS ENSUITE. CEPENDANT, S'IL N'EST PLUS DANS LA COURSE DANS LES APPLICATIONS GRAND PUBLIC, LE JAPON RESTE ENCORE AUJOURD'HUI UN ACTEUR DE POIDS DANS LE DOMAINE DES AFFICHEURS DESTINÉS AUX APPLICATIONS INDUSTRIELLES. S'il est un pays pionnier dans l'industrie de l'affichage électronique, c'est bien le Japon. Un pays qui a dominé ce secteur industriel des décennies durant, depuis le sortir de la seconde guerre mondiale, avec les premiers téléviseurs à tube cathodique, jusqu'aux années 1990 avec la démocratisation et la révolution de l'écran plat – en l'occurrence le LCD – dans les équipements informatiques grand public. C'est en effet à la fin de cette décennie et au tournant des années 2000 que le pays du soleil levant perd de sa superbe. Dans les années 1990, face à l'explosion de l'informatique personnelle et à la forte demande en écrans plats qui en découle, les fabricants japonais n'hésitent pas à délocaliser une grosse partie de leur fabrication d'afficheurs en Corée du Sud, puis à Taiwan, afin de réduire les coûts de production et de répondre aux besoins du marché. Et il ne faudra qu'à peine une décennie pour que ces sous-traitants coréens et taiwanais volent de leurs propres ailes et dépassent le pionnier japonais à grands coups d'investissements massifs. À l'exception de Sharp qui résiste comme il peut, le Japon, pourtant pionnier dans le domaine, n'est plus une grande nation des écrans plats pour applications grand public (TV, informatique, périphériques mobiles, etc.). La Corée du Sud et Taïwan dans les années 2000 et 2010, et aujourd'hui la Chine, avec BOE et CSOT notamment, ont pris la relève. DÉPASSÉ DANS LA COURSE AUX ÉCRANS TV Dans les années 2000, la course aux écrans plats grands formats destinés aux téléviseurs est effrénée et ne fait qu'accen-tuer la domination coréenne et taiwanaise, d'une part, et le déclin du Japon, d'autre part. Cette effervescence est portée par les progrès impression-nants des écrans LCD – réalisés essentiellement par les acteurs coréens (Samsung, LG) et taiwanais (AU Optronics, Chi Mei Innolux, Chungwha Picture Tubes, etc.) – qui ne cessent d'augmenter leur diagonale (au début des années 2000, un écran LCD de 32 pouces était encore considéré comme une prouesse technologique…), tout en gagnant en qualité d'image. Arcboutés sur la technologie plasma, longtemps considérée comme un must en matière d'écrans plats pour téléviseurs, de nombreux fabricants japonais persisteront dans cette voie malgré les progrès rapides des LCD qui finiront par s'imposer dans les téléviseurs au tournant des années 2010. À cette période, l'industrie des écrans plasma est moribonde et se limite à trois fournisseurs, dont le japonais Matsushita (nom que portait Panasonic avant que le groupe nippon adopte celui de sa marque phare), alors que les autres grands spécialistes des écrans plasma japonais (Pioneer, Hitachi, Nec, etc.) ont jeté l'éponge les uns après les autres. Bref, au début des années 2010, après une décennie pendant laquelle ils ont tout balayé sur leur passage, les écrans LCD – et avec eux, les industriels coréens et taiwanais – sont quasiment seuls au monde et dominent tous les segments de marché grand public, depuis les afficheurs pour équipements informatiques jusqu'aux écrans de téléviseurs de 50 pouces et plus, laissant sur le carreau l'industrie des écrans plasma et, avant elle, celle des tubes cathodiques. À cette époque, seuls Sharp – qui, dès 2000, avait tout misé sur les téléviseurs LCD – et Panasonic – qui, sentant le vent tourner, avait décidé d'investir massivement, mais vraisemblablement trop tard, en LCD grands formats – résistent à la domination coréenne et taïwanaise. Par la suite, les deux japonais ont connu des fortunes diverses. Malgré ses investissements massifs en écrans LCD grands formats et la création en 2010 d'une filiale – Panasonic Liquid Crystal Display (PLD) – bâtie sur les bases d'IPS Alpha Technology et spécifiquement dédiée à la production de LCD pour téléviseurs, Panasonic souffre face à la concurrence au point d'annoncer, dès 2016, l'arrêt de sa production de LCD pour téléviseurs. En 2019, le japonais décide son désengagement total des LCD avec l'arrêt des activités de PLD – qui s'était recentré sur les afficheurs pour l'automobile et l'industriel – programmé en 2021. KOE À l'image de Japan Display Inc. (JDI), connu en Europe sous la marque KOE, ou de Kyocera, le Japon dispose encore de sociétés capables de rivaliser avec la concurrence taiwanaise, coréenne et chinoise dans le domaine des écrans destinés aux applications industrielles et automobiles. SHARP, UN CAS À PART Sharp est un cas à part. Le japonais est tout d'abord un pionnier de l'industrie de l'affichage électronique puisque qu'il revendique l'industrialisation, entre autres, du premier téléviseur à tube cathodique après la Seconde Guerre mondiale et du premier afficheur LCD en 1973, un modèle monochrome intégré dans une calculatrice de la marque. Le japonais est aussi le seul de ses compatriotes à avoir compris, dès 2000, que la technologie LCD allait tout rafler sur son passage (ce qui se confirma dix années plus tard) et qu'il fallait investir massivement sur ce créneau pour avoir une chance de résister à la concurrence coréenne et taiwanaise de l'époque. Des milliards d'euros ont ainsi été investis pour créer deux unités de production sur son site de Kameyama au milieu des années 2000 et surtout, pour faire sortir de terre son usine de Sakai considérée à l'époque (en 2009) comme le must de la production de LCD grands formats compte tenu de son ultra robotisation et surtout de sa capacité unique à exploiter des dalles mères géantes de génération 10. À cette époque, Sharp profitait de chaque salon d'électronique grand public pour dévoiler le plus grand écran LCD de téléviseur du moment et ainsi afficher au monde – et à ses concurrents coréens et taïwanais – sa force de frappe industrielle dans ce domaine. Aujourd'hui encore, l'usine de Sakai reste l'un des rares sites de production de LCD au monde à utiliser des dalles de génération 10 (le coréen LG et les chinois BOE et CSOT, China Stars Optoelectronics Technology, affirment avoir mis récemment en service de telles unités de production). Sharp semblait donc avoir tout fait pour assurer sa survie dans le secteur. Mais c'était sans compter sur la crise de 2008/2009 et sur un cours très défavorable du yen par rapport au won coréen notamment, tombés au plus mauvais moment pour le japonais et qui ont durablement fragilisé toute l'industrie japonaise des écrans plats. En 2012, pour son centenaire, le groupe annonce les pires résultats financiers de son histoire (l'équivalent de près de 5 milliards de dollars de pertes). On craint le pire pour Sharp. Mais c'était mal connaître sa capacité de rebond et d'adaptation. En 2016, le groupe nippon n'hésite pas à se jeter dans les bras d'un industriel étranger, taiwanais de surcroît, plutôt que d'accepter un plan de sauvetage du fonds Innovation Network Corporation of Japan (INCJ) soutenu par le gouvernement japonais. Sharp accepte en effet l'offre du géant taiwanais Hon Hai Precision, numéro un mondial de la sous-traitance électronique, car jugée plus intéressante et pérenne. Ainsi, en plus d'investir 700 milliards de yens (6,2 Md$) pour racheter les deux tiers du capital de Sharp, Hon Hai s'engage à reprendre sa dette, qui s'élève alors à 6,3 Md$. Le taiwanais met également dans la balance une promesse d'investissement dans le domaine des afficheurs Oled, de plus en plus présents dans les écrans de petits et moyens formats. Sharp voit aussi dans la prise de contrôle de Hon Hai un argument pour renforcer sa position de fournisseur d'écrans auprès d'Apple. Hon Hai est en effet le principal sous-traitant de la marque à la pomme et peut influencer le géant américain dans ces choix d'afficheurs. Et avec Sharp dans son giron, le taiwanais sécurise un approvisionnement en afficheurs. ENCORE UN ACTEUR DE POIDS DANS LES ÉCRANS POUR L'INDUSTRIEL Hormis Sharp, qui résiste comme il peut, le Japon a en grande partie perdu son aura en matière d'écrans plats à destination des applications grand public et ne compte plus que pour quelques pourcents de la production mondiale d'écrans plats. Une récente étude du cabinet d'étude taiwanais TrendForce l'évalue à tout juste 5 % en 2019, contre 25,7 % pour Taiwan, 28,4 % pour la Corée du Sud et 41,1 % pour la Chine. Mais dans le domaine des écrans plats à vocation industrielle, l'archipel reste un acteur de poids, malgré la très forte consolidation du secteur depuis une dizaine d'années et des fortunes diverses pour les spécialistes du secteur. Si Nec LCD Technologies bat aujourd'hui pavillon chinois depuis son rachat en 2011 par Avic, maison-mère de Tianma, d'autres grands industriels japonais spécialistes des écrans plats à vocation industrielle ont décidé de se rassembler pour bâtir un ténor nippon dans ce domaine, capable de résister à la concurrence étrangère. Cette initiative – celle-là même que Sharp a refusée –, on la doit à l'INCJ, sous l'impulsion du gouvernement nippon. C'est ainsi que nait en 2012 Japan Display Inc. (JDI) – connue en Europe sous la marque KOE –, une société issue de la fusion des activités écrans plats à vocation industrielle et automobile (essentiellement des modèles de petits et moyens formats) d'Hitachi, Sony et Toshiba (qui, lui-même, avait racheté les LCD petits formats de Panasonic en 2009) et qui est encore à ce jour l'une des plus importantes dans le monde. L'ironie du sort veut qu'en 2020, Japan Display a cédé son usine de LCD de Hakusan… à Sharp. Parallèlement, toujours en 2012, deux autres grands noms de ce domaine – en l'occurrence Kyocera Display et Optrex – se regroupent sous l'étendard Kyocera (le second devient une filiale à 100 % du premier) avec le même objectif. Et pour qu'il n'y ait aucune ambiguïté sur les intentions du groupe ainsi créé, Kyocera Display est renommé Kyocera Automotive and Industrial Solutions. Jugés plus rentables que ceux à destination des débouchés grand public, les afficheurs pour applications industrielles et automobiles ne font pourtant pas forcément le bonheur de tous les fabricants japonais qui ont misé sur ce créneau. C'est le cas notamment de Mitsubishi, un grand nom du secteur, qui a annoncé l'an dernier devoir jeter l'éponge à l'horizon 2022 pour se concentrer sur les semi-conducteurs de puissance. Il faut sans doute y voir un effet du Covid-19 qui a grandement impacté les ventes de véhicules dans le monde et ralenti l'activité industrielle. Notons enfin que Sony et Panasonic ont créé, en 2015, en partenariat avec le chinois CSOT, filiale de TCL, une joint-venture du nom de Joled (contraction de Japan et Oled) destinée aux afficheurs Oled pour le médical, l'automobile et la signalétique. Exploitant un procédé de fabrication par impression supposé moins onéreux que le procédé conventionnel, la production de volume des écrans en question a débuté en 2019.

Écrans plats : le Japon a perdu son aura, sauf pour les débouchés industriels

Couverture ElectroniqueS n°127

IBM grave les premières puces en 2 nm en abandonnant les FinFET

Zeta, le protocole LPWAN made in China, arrive en Europe

Harting invente le connecteur électronique sur mesure

Écrans plats : le Japon a perdu son aura, sauf pour les débouchés industriels

Dans la même rubrique

Couverture ElectroniqueS n°127

IBM grave les premières puces en 2 nm en abandonnant les FinFET

Zeta, le protocole LPWAN made in China, arrive en Europe

Harting invente le connecteur électronique sur mesure