Couverture ElectroniqueS n°127

DES CONCRÉTISATIONS DE RELOCALISATION S'IMPOSENT AFIN DE COMPRENDRE LES TENANTS ET LES ABOUTISSANTS DE CES OPÉRATIONS SOUVENT DÉCISIVES POUR L'AVENIR DES SOCIÉTÉS. CRÉÉE EN 2015, OROSOUND CONÇOIT ET DÉVELOPPE DES CASQUES AUDIO À ANNULATION DE BRUIT. POUR SON CASQUE DE TRAVAIL TILDE PRO, LA START-UP A CHOISI UNE FABRICATION EN FRANCE. MARTIN POURRIOT, DIRECTEUR DE PRODUCTION CHEZ OROSOUND, NOUS DÉTAILLE SES EXPÉRIENCES EN CHINE ET EN FRANCE. Avant de fabriquer en France, Orosound produisait en Chine pour une raison liée à l'audio portable : « Nous voulions travailler avec un partenaire expérimenté en la matière, or, ils sont tous basés en Chine », indique Martin Pourriot, directeur de production chez Orosound. La relocalisation s'est pourtant imposée, d'abord pour des valeurs intimes, mais aussi pour un certain nombre de problèmes rencontrés en Chine liés notamment à la culture : « Nous avions déjà une certaine expérience avec la Chine, il n'y a pas de fossé culturel à titre personnel. On ne peut pas généraliser les problèmes, mais pour nous, des difficultés apparaissent dans la régularité et la précision des informations et des process. C'est souvent propre aux petites et moyennes usines. Celles de grande taille sont habituées à travailler avec de grands comptes, et sont rigoureuses dans leurs procédures. D'autres sont plus flexibles mais moins pointilleuses sur cet aspect. Nous nous trouvions un peu dans ce cas-là, avec des situations où nous ne savions pas si un problème avait été bien ou mal traité, voire occulté, pour être finalement remonté comme un fait accompli, trop tard pour être corrigé. Il ne s'agit pas d'être «anti-Chine» mais cet aspect récurrent est assez familier des personnes travaillant là-bas », précise M. Pourriot. La relocalisation est également liée à l'éloignement géographique : « Le suivi sur place pose également un problème de ressources, de fonctions support. Nous ne pouvons pas nous permettre, comme d'autres, d'être présents en Chine en permanence », argumente-t-il Le made in France s'imposait, « afin d'avoir un suivi plus étroit, au moins sur les phases les plus critiques pour nos technologies ». D'autre part, des contraintes liées aux douanes ou à l'administratif ne doivent pas être mésestimées. « Il faut bien jauger les inconvénients parfois masqués d'une fabrication en Chine. Par exemple, si vous souhaitez livrer en Chine des composants STMicroelectronics achetés auprès d'un distributeur français à un prix attractif, les composants seront peut-être bloqués trois semaines en douane sans que l'on en connaisse la raison véritable. Il y a régulièrement des complications, car l'administration locale modifie fréquemment ses règles pour l'exportation comme l'importation. Si le temps de mise sur le marché est critique, il faut utiliser l'avion. Seulement, même avec des livraisons optimisées par palettes, le coût du transport varie et peut être très élevé », développe M. Pourriot. DE L'INTÉRÊT DE « SPÉCIFIER ET SOURCER EN DIRECT » La fabrication en Chine écartée, c'est vers 2017 qu'il a fallu en France « repérer des partenaires et des réponses à appels d'offres pertinents, ce qui n'est pas aisé ». L'état d'esprit vient avant les considérations techniques : « En recherchant un partenaire, j'ai constaté une doctrine presque commune à tous les sous-traitants français : un choix d'éviter a priori les produits grand public. La dernière tendance grand public portait sur les objets connectés, explique Martin Pourriot. Depuis, les fabricants sont plutôt échaudés à leur égard. Si vous êtes porteur de projets et que vous vous adressez à la sous-traitance électronique française en présentant votre produit comme étant grand public, il est difficile de trouver un partenaire. J'ai l'impression que désormais toute la filière électronique est dédiée à l'industriel, au Business to Business, ou bien aux domaines normés tels que le médical, l'aéronautique, le ferroviaire, etc. Dans le cas d'Orosound, nous fabriquons des produits Business to Business, mais à usage “grand public” où le premier partenaire est souvent le fabricant de la carte électronique », affirme M. Pourriot. « Nous fabriquons des produits Business to Business, mais à usage grand public » Pierre Guiu et Eric Benhaim (ex-Parrot) ont fondé Orosound (Paris, 15 collaborateurs) pour les professionnels travaillant notamment dans les open spaces. Outre leurs fonctions habituelles, ces écouteurs permettent de réaliser des visioconférences avec une maîtrise du bruit ambiant à 360°. Avec la technologie d'annulation de bruit sélective et directionnelle brevetée par Orosound, les écouteurs Tilde transmettent à l'utilisateur les sons qu'il veut entendre, pour de meilleures conditions de travail. Le casque Tilde Pro est fabriqué chez Asica (du groupe Prenveille, 220 salariés, 33 M€ de chiffre d'affaires) en Bretagne. Nous sommes ujourd'hui le seul cteur à fabriquer es casques rofessionnels n France. Face la demande roissante de os clients, nous enons d'ouvrir ne seconde ligne n Normandie ui augmente es capacités de roduction du asque Tilde Pro », ndique Martin ourriot Dans ces conditions, la question de l'intégration partielle ou non à l'étranger se pose fatalement : « Certains sous-traitants déclarent pouvoir offrir l'ensemble de la prestation, y compris les pièces mécaniques. Mais par expérience, il faut malgré tout spécifier et sourcer en direct. La filière est plus structurée à Shenzhen. Le modèle ODM offre une tête de pont qui organise une supply chain assez rodée, un dispositif moins développé en France. » L'audio portable suppose également des contraintes inédites . « Le coût plus élevé de la main-d'œuvre française entraîne des produits moins complexes en termes d'intégration, sur les grandes séries. Les produits très intégrés avec beaucoup d'éléments étant généralement réservés aux petites séries. C'est donc un réel enjeu de trouver des partenaires pouvant fabriquer les petites pièces intégrées à nos casques (élastomère, métal, fils, connecteurs, etc.), à un coût compétitif. Tout ceci est amené, en France, à être un surcroît de charge pour le donneur d'ordre », indique M. Pourriot. Autre recommandation, « il faut réduire le nombre de pièces et leur faire remplir un maximum de fonctions pour éviter de trop nombreuses opérations manuelles, comme l'assemblage de vis ou de pièces métalliques de faibles dimensions. Il s'avère plus efficace de dédier davantage de temps à la conception et l'industrialisation avec des pièces plus complexes, générées par des machines. En résumé, pour faire du made in France, il faut concevoir pour du made in France.» Ceci fait, il convient d'entre-tenir des relations régulières avec le concepteur de la carte pour effectuer des retouches nécessaires, surtout pour des produits innovants : « Souvent avec les start-up, lorsqu'une conception est achetée, rien ne peut être fait une fois celle-ci livrée. Il faut alors repartir de zéro si vous souhaitez la faire évoluer, ou bien alors changer de bureau d'études. » UNE VEILLE TECHNOLOGIQUE NÉCESSAIRE POUR L'ÉLECTRONIQUE GRAND PUBLIC Sous un angle plus général, Martin Pourriot craint « que les compétences liées aux produits intégrés de l'électronique grand public ne se soient un peu perdues. Nous gardons des produits avec un design un peu industriel, «robuste», que nous parvenons encore à développer en Europe. Mais même ce marché pourrait réclamer des produits plus attractifs, évoquant davantage l'électronique grand public. Je crains que le savoir-faire acquis en Asie permette à certains acteurs de répondre à cette demande sur les marchés que nous avons conservés, malgré les normes et les petites séries. Il ne s'agit pas forcément de concurrencer les Chinois, mais de se mettre à jour de l'état de l'art et éventuellement de s'équiper de machines. Ainsi, une hérésie il y a vingt ans était de fabriquer des produits grand public avec des pièces usinées ; cela se généralise avec Apple. Ces procédés de fabrication se banalisant, une veille industrielle est nécessaire. La fabrication numérique ne se réduit pas aux procédés additifs. Pour établir une analogie avec la dernière pénurie de masques, achetons plutôt la machine que les masques. Affirmer que tout est fait manuellement en Chine est faux : dans beaucoup de cas, des objets produits là-bas pourraient être réalisés en Europe sans nécessairement un prix plus élevé. Dès qu'il est question de très grands volumes, il faut passer par des machines pour garantir un bon niveau de qualité. Nous savons réaliser l'usinage numérique, mais cela concerne surtout l'aéronautique ou l'automobile. Il faut innover au niveau des procédés », conclut Martin Pourriot.

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