Couverture ElectroniqueS n°127

L'industrie électronique a rencontré de nombreuses difficultés pour suivre le rythme imposé par des circuits intégrés de plus en plus complexes et une compétitivité particulièrement intense. Une des réponses consiste à déplacer les environnements de CAO électronique sur le cloud. S uite à une série d'innovations apparues au cours de la décennie écoulée, les dimensions, la complexité et la variété des projets de conception de circuits intégrés ne cessent d'augmenter de façon exponentielle. Parallèlement, de fortes pressions concurrentielles obligent les entreprises à exploiter au mieux chaque dollar investi et à tirer le meilleur parti de chaque ingénieur recruté. Face à ces différentes contraintes, certaines sociétés ont tout simplement été éclipsées ou absorbées par leurs concurrents, tandis que d'autres tentaient de s'attaquer à ces problèmes fondamentaux. Parmi les domaines que les développeurs en électronique sont en train de ré-imaginer figure le modèle d'infrastructure de calcul des centres de données hébergés et administrés par les entreprises. CARL SIVA (CADENCE) Carl Siva est vice-président de Cadence, chargé des technologies de l'information. Il dirige notamment les travaux du fournisseur de CAO sur le cloud. Il est diplômé du Heald College de San Francisco et de l'université de Phoenix. Les équipes informatiques et de CAO ont du mal à répondre aux pointes de demande de leurs ingénieurs en CAO électronique et ce, en raison des contraintes d'espace et de capacité des centres de données déployés sur site, indépendamment de la taille et des ressources de l'entreprise. Pourtant, les équipes d'ingénieurs doivent respecter des calendriers de conception et de mise sur le marché de plus en plus serrés en utilisant une infrastructure vieillissante ou limitée qui nuit sensiblement à leurs performances. Face à cette limitation de la productivité, une solution consiste à affecter davantage d'ingénieurs ou d'outils aux projets prioritaires, mais cette approche ne fait qu'accentuer le défaut de ressources. Demander à un plus grand nombre d'ingénieurs d'utiliser davantage d'outils sans modifier l'infrastructure pénalise l'accès aux ressources de calcul disponibles, réduit les performances et abaisse la productivité des ingénieurs. Or, même lorsque l'infras-tructure est identifiée comme étant la source du problème, peu d'entreprises disposent des moyens nécessaires pour rajeunir et développer leur environnement matériel avec une vélocité leur permettant de répondre à des exigences croissantes en puissance de calcul. En outre, même au sein des rares entreprises qui disposent des ressources nécessaires, l'accès aux nouveaux équipements n'est pas immédiat; il doit être chiffré, commandé, reçu, installé et configuré, ce qui peut prendre des mois avant de voir le goulet d'étran-glement de la productivité commencer à s'amenuiser. Face à ce défaut de ressources, la solution ultime, et peut-être la seule, consiste à déplacer les activités de CAO électronique vers le cloud. Des exigences uniques Depuis le début des années 1970, les flots et les outils de CAO électronique sont synonymes de besoins de calcul spéci-fiques et élevés. Les premières activités de conception assistée par ordinateur ont dans une large mesure eu lieu dans de vastes centres de données d'entreprises dotés d'outils propriétaires. Et si ces pre-mières puces étaient pour la plupart «fabriquées main» et dotées de fonction-nalités limitées à ce que l'esprit humain était alors capable d'imaginer, les outils utilisés pour produire des circuits intégrés et des cartes électroniques étaient encore créés en interne. C'est au début des années 1980 que de nouvelles entreprises spécialisées dans la CAO électronique ont commencé à développer des postes de travail spécialisés et des solutions de sai-sie de schémas interactives, les outils de placement-routage faisant l'objet d'une standardisation croissante. À la fin de la décennie, alors que la conception des circuits intégrés suscitait un intérêt croissant, des postes de travail haut de gamme ont commencé à être employés pour effectuer des analyses et des simulations à petite échelle sur le bureau des ingénieurs, tandis que les analyses plus poussées étaient encore effectuées sur les gros ordinateurs de l'entreprise. Alors que les circuits intégrés franchissaient la barre du million de transistors en 1989 avec le processeur i860 (alias N10) d'Intel, l'industrie de la CAO électronique a explosé au cours de la décennie suivante. Les offres CAO sont passées des outils individuels aux flots d'outils com-plets, les répartitions entre les sessions interactives et celles tournant en arrière-plan ont augmenté, et les puces ont intégré des centaines de millions de transis-tors. Ces innovations ont donné lieu à de nouveaux défis, créant des goulots d'étranglement au niveau de la puissance de calcul, et ces défis ont à leur tour favorisé l'innovation avec, entre autres, l'arrivée de conceptions hiérarchiques et des bibliothèques de circuits pré-caractérisés pour pallier les limites des outils, tandis que la capacité mémoire augmentait pour améliorer la productivité. Besoins croissants de ressources Au moment d'entamer le XXI e siècle, la CAO électronique avait suffisamment évolué pour accompagner le développement des serveurs multicœurs nécessaires au bon fonctionnement d'un Internet en pleine expansion et de fonctionnalités telles que les recherches dans les bases de données. Le support des systèmes sur puce (SoC, Systems on Chip ) et des concepts au niveau système a été ajouté aux solutions de CAO électronique, ce qui a permis de développer des circuits intégrés de plus grandes dimensions, certains comptant alors plus d'un milliard de tran-sistors, à l'image du processeur Intel Itanium. À l'orée des années 2010, les nouvelles conceptions de puces avaient atteint un point de développement tel que les calculs nécessaires pour les réaliser dans un délai acceptable dépassaient la capacité moyenne dont disposaient la plupart des entreprises de conception électronique ! Cette évolution, conjuguée aux innovations tirées par l'Internet au cours de la décennie précédente (bande passante accrue, consolidation des centres de données régionaux) et à l'essor de l'informatique en cloud, laissait entendre que les opérations de CAO électronique migreraient rapidement et sans difficulté vers le nuage informatique. Or, jusqu'à présent, cela ne fut pas le cas. Les enjeux relatifs à la sécurité du cloud et à la migration de blocs de propriété intellectuelle (IP) propriétaires uniques vers des environnements de cloud public ont freiné cette transition. Alors que le cloud computing semblait constituer un choix logique pour les activités de CAO électronique, les blocs IP n'en ont pas bénéficié – il est d'ailleurs amusant de constater que ce sont les applications métier hébergeant d'énormes quantités de données personnelles et professionnelles qui ont profité du mouvement vers le cloud! À mesure que des quantités croissantes d'informations personnelles (données bancaires, dossiers médicaux, photos de famille et autres dossiers ADN) ont été transférées vers le cloud –en grande partie à l'aide d'applications métier disponibles en tant que service (SaaS, Software as a Service ), la perception du cloud en matière de sécurité a évolué, tant auprès du grand public que des industriels de la conception électronique. Cette perception plus positive de la sécurité sur le cloud, conjuguée aux irrémédiables limitations des moyens de calcul disponibles en interne, a ouvert la voie à l'adoption du cloud par les professionnels de la CAO électronique. Des milliers de serveurs Si le concept est relativement simple, le transfert de flots de conception et de vérification de CAO électronique vers le cloud s'avère compliqué, compte tenu des exigences qui caractérisent la conception électronique. Le volume de données constitue à lui seul un obstacle considérable. Les bases de données de conception de circuits intégrés comportent généralement un nombre conséquent de fichiers volumineux, souvent pilotés par des outils sophistiqués de gestion des versions et distribués dans des centres de conception répartis aux quatre coins du monde. Le succès de la mise en place d'un système de fichiers efficace capable de supporter des charges de CAO électronique sur le cloud requiert une solide expérience. Autre facteur à prendre en compte, les exigences des outils vis-à-vis des serveurs, du stockage des données et du réseau. Pour fonctionner de manière optimale, chaque outil CAO doit répondre à un ensemble unique d'exigences de configuration matérielle. Et pour migrer vers un environnement de cloud public, les exigences de configuration des outils doivent être mises en relation avec les offres d'infrastructure en tant que service (IaaS, Infrastructure as a Service ) qui peuvent varier d'un fournisseur à l'autre. Toutes ces configurations exigent une solide expertise pour être déployées dans un environnement de cloud commercial, et des configurations non optimisées risquent de limiter les gains de productivité. De plus, l'évolutivité inhérente à de nombreux outils de CAO électronique est limitée par les suppositions du développeur quant au nombre raisonnable de serveurs dont il pourra disposer pour résoudre un problème. Des outils sont développés pour répondre aux besoins de clients réels ayant des contraintes réelles. Il y a quelques années, il aurait été tout à fait irréaliste d'espérer qu'un millier de serveurs soient mobilisés pour exécuter les tâches de clôture et de validation d'un circuit intégré. Même les plus grandes entreprises qui comptent en interne des fermes de milliers de serveurs doivent gérer de nombreuses tâches de calcul pour un grand nombre de projets et ne peuvent en aucun cas se permettre de dédier une ferme à des tâches séparées. Cette réflexion mène à des architectures d'outils qui limitent l'évolutivité, et cette réflexion doit évoluer. Des capacités essentielles Cadence s'est forgé une solide expérience en apportant son assistance à ses clients hébergés ainsi qu'à ses propres ingénieurs en interne, ce qui a permis à la société d'acquérir l'expertise nécessaire pour traiter les problèmes liés à la migration des tâches de CAO électronique vers le cloud public. Ayant hébergé des environnements de conception pour le compte de plus de cent clients depuis dix ans dans le cadre de son activité Hosted Design Solutions (HDS), Cadence a pu mesurer les défis que ses clients doivent relever au quotidien : conflits d'utilisation des ressources, capacités limitées et performances médiocres. Cadence a connu une croissance rapide au cours des dernières années, si bien que les pressions subies par ses clients ont amené ses propres équipes de R&D à utiliser le cloud de façon croissante tout en optimisant l'architecture de ses produits pour accompagner cette approche. Depuis 2014, Cadence prend en charge des environnements de cloud publics et privés pour ses propres équipes d'ingénieurs ; la société développe ses outils et les exécute dans un environnement de cloud public. Forts de cette expérience, nous sommes arrivés à la conclusion que pour être couronnée de succès, une solution de CAO électronique en cloud doit réunir quatre caractéristiques essentielles qui permettront de combler le défaut de ressources: productivité, évolutivité, sécurité et flexibilité. Productivité Quels que soient l'entreprise et ses projets, la gestion des délais de mise sur le marché est un enjeu capital. Le moindre retard provoqué par une mauvaise gestion, voire un manque de ressources informatiques, peut se traduire par des oppor-tunités envolées sur le marché, rendant inutiles les investissements consacrés aux infrastructures. De plus, pour chaque dollar injecté dans une technologie donnée, il convient d'investir un montant supérieur pour l'intégrer et l'appliquer à l'environnement et aux circuits des clients. L'entreprise doit consacrer du temps et des capitaux à l'acquisition, à l'intégration, au déploiement et à la maintenance de ces plateformes qu'utiliseront ses équipes techniques. Elle doit également embaucher et fidéliser des employés pour soutenir ces environnements et les équipes d'ingénieurs. Et au-delà de ces investissements, compte tenu de la croissance exponentielle des besoins de calcul qui caractérisent les activités de CAO électronique, il est peu probable que les centres de données internes puissent absorber les pointes des charges de travail. Par nature, le cloud permet d'orienter les ressources nécessairement limitées au profit de conceptions rentables, plutôt que vers une infrastructure coûteuse. Au lieu d'acquérir l'infrastructure nécessaire pour faire face à une période de pointe, il suffit de la louer. Mais offrir aux utilisateurs de logiciels CAO un niveau de productivité réel sur le cloud nécessite davantage d'expérience et d'optimisation : cette expérience permet de bien comprendre la différence de la gestion d'un environnement sur site par rapport au cloud, ainsi que d'analyser les différents services proposés par les fournisseurs de cloud computing. Évolutivité La conception électronique couvre un large éventail de disciplines utilisant des outils personnalisés et présentant des exigences particulières. Les concepteurs de circuits numériques utilisent des outils et des flots de travail différents de ceux des concepteurs analogiques. Les concepteurs de puces, de boîtiers et de cartes électroniques affichent tous des exigences particulières, et leurs collègues en charge de la vérification d'une conception dans toutes ses variantes en présentent d'autres encore. Cependant, tous ces intervenants doivent se rencontrer à des moments clés pour constituer la conception globale du système, les produits phares étant le système sur puce (SoC), la carte électronique (PCB) et, finalement, l'ensemble matériel/ logiciel qui constitue le produit final. Pour être viable, une solution en cloud doit être évolutive pour couvrir tous les aspects de ce que Cadence appelle le System Design Enablement. Selon Daniel Nenni de SemiWiki, « ces dix dernières années, quand nous interrogions les clients quant au nombre de simu-lations qu'ils avaient exécutées, la réponse était toujours la même : pas autant que nous l'aurions souhaité, pour des ques-tions de temps . En clair, ils ne disposaient pas d'un nombre de licences logicielles et/ ou de ressources de calcul suffisants ». Pour sa part, Richard Paw de DellEMC cité par Brian Bailey déclare que « dans le domaine de la CAO électronique et de la conception de puces, on n'en a jamais vrai-ment terminé avec les opérations de véri-fication. Mais on vérifie ce que l'on ales moyens financiers de vérifier! Vous dispo-sez d'une somme fixe, vous achetez des licences et vous vérifiez jusqu'à ce que vous n'ayez plus d'argent. Ce n'est jamais pleinement satisfaisant, mais c'est suffisamment bon ». La question est alors de savoir si « suffisamment bon » est accep-table. Un autre aspect de l'évolutivité doit être pris en compte, à savoir la capacité de calcul en force brute du cloud. Alors que la plupart des ingénieurs doivent utiliser leurs outils sur des dizaines voire, dans de rares cas, des centaines de serveurs, la capacité du cloud se mesure en milliers, parfois même en dizaines de milliers de serveurs. Sécurité Depuis son apparition, la crainte de compromettre la propriété intellectuelle développée au fil des ans, moyennant un coût élevé, a ralenti l'adoption du cloud computing par les fabricants de semi-conducteurs. Cependant, de nombreuses entreprises luttent pour faire face au nombre croissant de menaces qui pèsent sur leur sécurité, car elles ne disposent tout simplement pas des ressources et de l'expertise nécessaires pour suivre l'évolution constante des bonnes pratiques. D'autre part, les entreprises technologiques les plus importantes et les plus rentables –celles qui sont à la tête de l'industrie du cloud– ont consacré leurs ressources à des mesures de sécurité extrêmement sophistiquées. Leurs investissements concernent par exemple la sécurité physique des centres de données, laquelle n'a rien à envier aux sites militaires, ou la création d'équipes de cybersécurité en permanence à l'affût d'attaques potentielles. Au début du cloud, les entreprises hésitaient à franchir le pas en raison de préoccupations essentiellement liées à la sécu-rité. Mais à présent, alors que le cloud public a mûri et que la plupart des entreprises y stockent déjà leurs données financières, leurs brevets et leur propriété intel-lectuelle, les ingénieurs commencent à se rendre compte des avantages que cet environnement peut apporter à l'utilisation d'outils de CAO électronique. « Tout le monde stocke ses données professionnelles les plus sensibles sur le cloud, ce qui en fait un modèle plus acceptable pour les entreprises », explique Frank Schirrmeister, directeur de groupe chez Cadence en charge de la gestion des produits et du marketing pour les activités Émulation, Prototypage à base de FPGA et Déploiement des plateformes matériel/ logiciel. « Aujourd'hui, nous constatons une plus grande ouverture d'esprit en faveur de la migration de projets sur le cloud. La possibilité d'accéder avec une flexibilité accrue à une exécution plus rapide est supérieure aux préoccupations de sécurité ». Flexibilité Étant donné que les opérations de concep-tion électronique sont prises en charge par des start-up comme par des multinatio-nales, que certaines conçoivent de minuscules dispositifs connectés à l'Internet des objets et d'autres développent des serveurs avancés, une solution de CAO électronique en cloud performante doit être extrêmement flexible. Certaines entreprises souhaiteront externaliser la totalité des aspects de la gestion d'un environnement en cloud afin d'en tirer le maximum d'avantages en matière de producti-vité, alors que d'autres, plus expérimentées, préféreront gérer elles-mêmes leur environnement cloud. De même, certaines entreprises décideront de migrer des projets entiers, là où d'autres l'utiliseront uniquement en cas de pointes d'activité. Si les excellents fournisseurs de services en cloud ne manquent pas, les clients ont besoin de solutions CAO suffisamment flexibles pour répondre à leurs besoins. C'est pourquoi le portefeuille Cadence Cloud propose un éventail de modèles –entièrement administrés, auto-administrés et mixtes – au niveau des outils, des flots et de l'environnement de conception complet, afin de répondre aux besoins de toutes les entreprises, indépendamment du fournisseur choisi. n

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