Couverture ElectroniqueS n°127

Associée du cabinet UGGC Avocats, l’un des principaux cabinets français en droit des affaires, Corinne Khayat, spécialiste en droit de la concurrence, analyse le veto de la Commission àpropos du projet de fusion entre Alstom et la branche transportdeSiemens. La Commission européenne aannoncé début février qu’ellerefusait de donner son feuvert au projet de fusion entre le français Alstometl’allemand Siemens dans le domaine du ferroviaire. Quelles étaient ses craintes? CORINNE KHAYAT La position de la Commission européenne estintervenue après qu’elleaexaminé lesmarchés concernés par ce projet de fusion, àsavoir essentiellement le matériel roulant et leséquipements de signalisation. Elle estparvenue àlaconclusion que le nouvel ensemblepourrait se retrouver dans une position fortement dominantesur lesmarchés visés et entraîner un risque d’augmentation des prix, une régression en matièredechoix offerts aux clients ainsi qu’un recul de l’innovation. Après avoir analysé la position des concurrents en présencesur ce marché, la Commission européenne en adéduit que cesderniersne constitueraient pas un contrepoids suffisant pour concurrencer la nouvelleentité. AlstometSiemens ont-ils fait des concessions pour avoir davantage de chances de voir ce projet de fusion aboutir? CORINNE KHAYAT Lorsque lesopérations de concentration posent des préoccupations de concurrence, des remèdes sont proposés et négociés. Généralement, la Commission européenne favorise lesremèdes structurels tels que lescessions d’activités àunacquéreur indépendant de la futureentité, ce qui permet de créer un nouvel entrant sur le marché concerné ou de renforcerun concurrent déjà existant et de retrouver une pression concurrentielle. Mais dans le cadredecetteopération, la Commission européenne ajugé que lesconcessions proposées n’étaient pas suffisantes pour pallier lespréoccupations de concurrencesoulevées. Pour lesprotagonistes, de nouveaux engagements auraient mis en péril le sens de l’opération. Ils ont donc préféréessuyer un refus plutôt que de céder des activités qu’ils jugeaient essentielles. CORINNE KHAYAT, associée du cabinet UGGC Avocats et spécialisée en droit de la concurrence “ La Commission européenne est parvenue àlaconclusion quelenouvel ensemble pourrait se retrouverdans uneposition fortementdominante . ” Pourtant, le chinois CRRC pourrait devenir menaçant pour l’industrie européenne du ferroviaireaucoursdes prochaines années. Pour quelleraison la Commission européenne n’a-t-ellepas pris en comptecette menace? CORINNE KHAYAT La menaceduchinois CRRC n’a pas été une option retenue par la Commission européenne, tout simplement parce que 90%deson activité estréalisée en Chine et le resteaux États-Unis àl’heure actuelle. La Commission européenne aainsi considéréqu’il était peu probableque CRRC vienne concurrencer la futureentité sur les marchés européens concernés àcourt terme, c’est-à-diredans un délai de deux àtrois ans. D’ailleurs, pour le moment, CRRC n’a pas participé àdes appels d’offres en Europe. Ya-t-il eu des précédents en matièrede refus de fusions-acquisitions de la part de la Commission européenne? CORINNE KHAYAT Si l’opération envisagée estdenatureàporter atteinteàlaconcurrence, notamment par création ou renforcement d’une position dominante, l’opération peut êtrerefusée par l’autorité de concurrence. Sur cettebase, au coursdes dix dernières années, il yaeuune dizaine de refus d’opérations de concentration de la part de la Commission européenne. En 2017, la Commission européenne apar exemple interdit le projet de rachat de CemexCroatia par HeidelbergCement et Schwenk dans le secteur du ciment, ainsi que la concentration envisagée entreDeutsche Börse et London Stock Exchange Group dans le domaine de la finance. Si l’Europe garantit bien la libreconcurrence au sein de l’Union européenne, n’y a-t-il pas, par contre, un risque d’affaiblir l’industrie européenne en lui refusant de se consolider face aux États-Unis et àlaChine? CORINNE KHAYAT L’analyse concurrentielle se fait sur la base de textes européens qui encadrent lesopérations de concentrations dépassant certains seuils et permet de vérifier qu’à l’issue des opérations concernées, la concurrencen’estpas significativement réduiteausein de l’Union européenne. L’analyse de la Commission européenne qui autorise ou non un projet de fusion se base donc sur des textes qui garantissent cette concurrence. Il faut changer lestextes si l’on veut changer d’analyse.

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