Couverture ElectroniqueS n°127

Il est passé le temps de l'insouciance dans les achats de composants. Face à l'émergence de nouveaux équipements plus gourmands en semi-conducteurs et en passifs, les concepteurs de produits et les acheteurs doivent s'accorder pour préparer les nomenclatures en liaison avec les fournisseurs. D epuis le début de 2017, une pénurie de composants électroniques sévit au niveau mondial, qui devrait, de l'avis des spécialistes, durer encore toute l'année 2019. Cette pénurie présente la particularité de concerner tant les semiconducteurs que les composants passifs. Une analyse plus détaillée montre qu'elle touche tout particulièrement les condensateurs céramique multicouches (MLCC), les chip résistifs et les composants discrets - notamment ceux qui sont encapsulés dans des boîtiers SOT 23, ainsi que les Fet et les Mosfet. Les raisons d'une telle pénurie sont multiples. Parmi celles-ci, figure en tête le manque de considération des designers de produits électroniques et des acheteurs pour les composants passifs, considérés comme « du tout-venant toujours disponible». Ce qui se traduit par des habitudes d'achats de dernière minute et par un manque de communication entre les acheteurs et les fournisseurs (fabricants et distributeurs). D'où de nouvelles implantations découvertes au dernier moment par les fournisseurs. « Le fabricant découvre que le composant présent, l'année X, sur deux cartes d'un de ses clients, l'est, l'année X+l, sur une vingtaine de cartes. », remarque ainsi Arnaud Ponthieux, directeur général de TDK Electronics France. Or, les fournisseurs de composants passifs ont besoin de connaître non seulement les caractéristiques souhaitées pour un composant (valeur, tension de fonctionnement, boîtier choisi), mais aussi la quantité de pièces à livrer. Ce manque de considération atteint son apogée dans un comportement d'achat prédateur reposant sur une demande récurrente de baisse des prix. « Tous les ans, l'acheteur obtient une réduction de 5% sur les prix des passifs... Aujourd'hui, on trouve ainsi des rouleaux de résistances à 3 euros, ce qui ne couvre même pas le prix du transport et de l'emballage» , remarque Alain Lafuente, ingénieur d'applications chez Wûrth Elektronik. Or de tels comportements laissent une marge insuffisante aux fabricants de composants passifs qui, de ce fait, se retrouvent dans l'incapacité d'investir suffisamment dans de nouvelles capacités de production-le coût d'une usine de passifs étant de l'ordre de plusieurs centaines de millions d'euros-, et sont obligés de stopper la fabrication des familles de composants les moins rentables et/ou faisant l'objet d'une moindre demande. Dans le domaine des condensateurs céramique multicouches, il s'agit des composants encapsulés en boîtiers de tailles supérieures au 0402. « Si je fabrique du 0402 plutôt que du 1210, j'obtiendrai, avec la même ligne de production, des milliers de pièces en plus», remarque M. Lafuente. « Le numéro 1 mondial du MLCC a annoncé une baisse de 30 % par an de sa production de boîtiers de tailles supérieures au 0402», complète Fabrice Lecordier, directeur général de TU Europe du Sud. Aussi, les fabricants de passifs, notamment de condensateurs, chercheront-ils à servir en priorité les grands clients qui sont de plus en plus demandeurs de petits boîtiers (0201,01005). « Dans les 5 à 10 ans à venir, les grandestailles-au-delà du 0805-se feront rares», prévient M. Lafuente. À une stratégie d'achats centrée sur la baisse des prix doit succéder un comportement vertueux qui permette aux fabricants de composants - notamment de composants passifs - d'engranger suffisamment de marge bénéficiaire pour investir en production. Un manque de prévisions qui s'aggrave D'une manière générale, les prévisions de commandes font défaut tant aux sous-traitants de l'électronique qu'aux fournisseurs de composants (fabricants et distributeurs). «Depuis trois à cinq ans, les prévisions se raréfient. Nous avons de moins en moins de données prévisionnelles à communiquer aux distributeurs et aux fabricants de composants», déclare ainsiÉricBurnotte, président du Snese, le syndicat français de la sous-traitance en électronique. Ce manque de prévisions a pour conséquence davantage d'urgences àtraiter par le sous-traitant - d'où un surcoût-, une plus grande difficulté dans la mise au point de stratégies de livraisons pertinentes chez le distributeur, et des hésitations sur les investissements productifs à consentir chez le fabricant de composants. Le manque de prévisions est, luimême, une conséquence de la complexification de la supply chain de l'électronique, nombre d'activités auparavant réalisées en interne - et, de ce fait, parfaitement circonscrites - étant confiées à des soustraitants. « Dans les grands groupes, on est passé d'une structure verticale où les acteurs consommaient ce qu'ils fabriquaient - Philips, par exemple, produisait entre 60 et 70 % de sa consommation de composants-à un système éclaté où interviennent beaucoup plus d'acteurs et où la communication est beaucoup moins efficace», relève M. Burnotte. « Aujourd'hui, le client est en relation avec des sous-traitants en produc-tion, des sous-traitants en design (ODM), des distributeurs et des fabr cants de composants - dont certains via des distributeurs qu'ils approvisionnent», renchérit Jean-Luc Estienne, président d'Acsiel. D'où une augmentation des erreurs de prévisions liée à une pléthore de données en provenance d'une multitude de sources. « Dans la plupart des cas, la somme des données partielles ne représentera pas la prévi sion totale réelle en raison d'aléas e ou d'erreurs (transmissions...)», sou ligne M. Estienne. En tout cas, le fabricant de composants aura du mal à définir des priorités de livraison. Les structures verticales d'hier ontfaitplaceàun i- travail faisant appel à une multitude d'acteurs (soustraitants en études, en production, distributeurs...). D'où une plus grande difficulté à obtenir des prévisions fiables. Penser à trouver des équivalences Les erreurs commises au moment de la conception et de l'industrialisation ont aussi une influence importante sur les commandes de composants. Souvent, les donneurs d'ordres ne prévoient pas, dansleurs nomenclatures, de composants équivalents en cas de problèmes. Au contraire, même en cas de pénurie, ils continuent souvent à imposer des contraintes sur les achats qui compliquent la vie des sous-traitants et, par répercussion, de l'ensemble de la supply chain. « En période de pén urie, les restrictions compliquent encore plus la vie de tous les acteurs », souligne à ce propos Éric Burnotte. En cas de pénurie, il serait primordial que les fabricants de matériels fassent appel aux fournisseurs de composants pour obtenir des informationssur chacune des références à problème de la nomenclature. Aujourd'hui, par exemple, en ce qui concerne les condensateurs céramique multicouches, les délais de livraisons varient grandement en fonction des valeurs de capacité et de tension de fonctionnement recherchées ainsi que de la qualité envisagée (industrielle, automobile, aérospatiale...). Idéalement, le bureau d'études doit penser à vérifier la disponibilité des composants via une veille relative aux EOL (End oîLiîe), LBO (Last Buy Order) émis par les fabricants de composants, ainsi qu'aux feuilles de route technologiques que cesderniers leur transmettent. Il faut aussi prévoir des équivalents. « Alors que les MLCC sont sous allocation, les condensateurs polymère, qui peuvent remplacer ces MLCC, présentent, quant à eux, des délais raisonnables», remarque M. Lecordier. Dans le cas d'alimentations à découpage, on pourrait ainsi remplacer avantageusement les condensateurs céramique en boîtiers 1210 (à délais de livraison 50-60 semaines) par des condensateurs polymère qui sont, eux, dispo-nibles. Dans les faits, la pénurie semble quelque peu inciter à une nouvelle approche. « Pendant des années, il a été impossible de parler d'Open Source. Aujourd'hui, du fait delà pénurie, ça passe comme une lettre à la poste», constate ainsi Gilles Benhamou, président directeur général d'AsteelFlash. Il faut toutefois que le remplacement ait été pensé. Sinon, recourir, à la dernière minute, à des sources alternatives présente des risques... La demande en composants devrait exploser dans tes années à venir du fait de l'arrivée sur le marché de nouvelles technologies (5G, véhicule électrique...). Le véhicule électrique, par exemple, devrait inclure entre 10000 et 20000 condensateurs contre 3000 environ pour l'automobile d'aujourd'hui... Pas de droit à l'erreur pour la fabrication des se mi-conducteurs Dans le même esprit, le bureau d'études doit se défaire de certaines habitudes néfastes comme la tendance à résoudre certains problèmes par l'ajout de réseaux LC. « Entre la version A et la version B d'un projet, le bureau d'études aura tendance à ajouter une vingtaine de passifs et discrets. Même si ces composants ne coûtent pas grandchose, leur ajout participe d'une recherche de résolution des problèmes par enrichissement, qui doit changer», remarque M. Benhamou. La perte de savoir en industrialisation est, elle, la cause de retard dans la fabrication des produits voire de retours de production. Rappelons que l'industrialisation d'un produit électronique repose sur la création d'un dossier de fabrication incluant une sélection d'outils de production, de tests et de couples « composantsmachines». « Cette étape est de plus en plus ignorée... Elle est pourtant essentielle et influe sur le choix des composants - notamment leurs conditionnements - , les coûts et les délais de fabrication », note Éric Burnotte. « La rapidité de pose d'une machine alimentée par sticks peut être 6 fois moindre que cette de la même machine alimentée par bandes», explique-t-il. Le semi-conducteur est un domaine très particulier. L'analyse de l'historique de ce marché révèle des alternances de suroffre et de sousoffre, du fait d'investissements périodiques en capacités de production. Cette industrie est aussi la plus gourmande en investissements productifs. « La construction d'une usine coûte entre 1 et 10 milliards de dollars; le prix du moindre équipement pour salle blanche est compris entre 1 et 10 millions de dollars ; celui d'un jeu démasqués, entre 100000 dollars et 1 million de dollars», rappelle ainsi Jean-Luc Estienne. Les démarrages de nouvelles productions ainsi que les transferts de production sont très coûteux. De ce fait, « les fabricants hésitent à procéder à de telslancements tant qu'ils n'ont pas la garantie de volumes suffisants de commandes, leur assurant un retour sur investissement satisfaisant», souligne M. Estienne. En outre, la technologie de fabrica- tion des semi-conducteurs pousse à penser « grands volumes». En effet, dans ce domaine, les procédés de fabrication s'améliorent au fur et à mesure que des correctifs, issus de la confrontation des contrôles statistiques avec la réalité de la production, sont pris en compte. Pour arriver à un process stable et optimal, il importe donc que de grandes quantités soient produites. « Si on ne fabrique plus qu 'un ou deux lots par an, on perd le savoir relatif à la production du composant - ce qui se traduit par l'apparition de dérives et par une diminution du rendement de fabrication », remarque M. Estienne. Autre raison qui conduit cette industrie à privilégier les grands volumes : elle fait traditionnellement appel à des lots de 50 tranches de silicium (ce qui représente des milliers, des dizaines de milliers ou des centaines de milliers de pièces, suivant la taille des puces) et ne sait pas produire efficacement en deçà du demi-lot. Ce qui signifie que les fabricants ont plus de mal à honorer les com-mandes de petites séries (inférieures au millier de pièces, par exemple). Des contraintes de fabrication La fabrication des semi-conducteurs a ses contraintes. Ainsi, le cycle de production (fabrication des circuits intégrés puis encapsulation) est-il compris entre 8 et 20 semaines. Le délai de livraison dépend, pour sa part, du taux de charge des usines, de la disponibilité des matières premières et de la présence ou non de stocks (produits finis ou semi-finis) dans l'usine. En cas de stocks, la livraison peut se faire en moins des 8 à 20 semaines évoquées plus haut. Par contre, en cas de capacité de production insuffisante (comme c'est le cas en pénurie), le délai peut atteindre, voire dépasser, un an. Enfin, tout composant a une durée de vie, sa mort advenant du fait d'une baisse de la demande obérant la rentabilité de sa production. Cette mort est parfaitement encadrée et fait l'objet de communications aux clients : annonce de fin de vie (EOL) et de dernière commande avant arrêt de production (LBO). Or, pour ne pas être obligé de redesigner son produit, le concepteur de matériel électronique doit s'informer de la durée de vie des composants de sa nomenclature. Une demande qui va «exploser» Il est particulièrement important qu'un nouvel équilibre s'instaure au sein de la supply chain de l'électronique quant à la fourniture de composants du fait des perspectives « d'explosion delà demande». Faute de quoi, la pénurie deviendra chronique. En effet, de nouvelles technologies sont sur le point de faire leur apparition, qui seront encore plus gourmandes en composants que les technologies actuelles. Déjà, l'iPhone 10 inclut plus de 1000 condensateurs contre quelques centaines pour l'iPhone 8. Le véhicule électrique en comptera entre 10000 et 20000 contre seulement 3000 pour l'automobile d'aujourd'hui. En outre, la demande de composants électroniques sera dopée par l'arrivée de la 5G, plus gourmande en infrastructures que la 4G, ainsi que par le déferlement de la vague Internet des objets. Tout cela baignant dans un flou artistique : le décollage de la voiture électrique est aujourd'hui repoussé à 2020; l'engouement initial pour les bracelets connectés n'a pas duré, etc. D'où, plus que jamais, la nécessité d'une coopération entre les fournisseurs et les utilisateurs de composants. Une telle coopération devrait, dans la pratique, se traduire par une demande de conseil aux fournisseurs, de la part des concepteurs, pour la définition des nomenclatures. Elle implique aussi de la part des fabricants de matériels, la définition d'équivalents. Elle suppose la reconquête d'un savoir-faire en industrialisation de la part des fabricants de produits électroniques, de façon à éliminer les choix de dernière minute et les retours de fabri-cation. Enfin, elle se traduit aussi par la mise en place d'un observatoire des composants, œuvre commune de l'Acsiel, du Snese et du SPDEI. Cet observatoire permet d'identifier les évolutions technologiques, les feuilles de route (roaclmap) ainsi que les variations des délais et des prix de livraisons des composants.

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