Couverture ElectroniqueS n°127

Pour Franck Fontanesi, directeur Économie et Statistiques de la Fédération des industries des équipements pour véhicules (Fiev), le développement du véhicule électrifié passera d'abord par celui des véhicules hybrides, rechargeables ou non, car le véhicule 100 % électrique ne répond pas encore à toutes les exigences du marché, en particulier en termes de coût. L'électrification du véhicule est un thème sur lequel votre fédération travaille énormément. Comment voyez-vous l'évolution de cette tendance dans les années à venir ? FRANCK FONTANESI, directeur Économie et Statistiques de la Fiev “ Pour atteindre un marché de masse, le véhicule 100 % électrique doit répondre aux besoins d'un grand nombre d'automobilistes en termes d'usage tout en restant dans des tarifs qui les satisfassent. Ce n'est pas encore le cas aujourd'hui. FRANCK FONTANESI C'est effectivement l'un de nos thèmes phares car il aura un impact énorme pour notre industrie. Mais avant d'aller plus loin, il convient de bien s'entendre sur les termes. Car quand on parle de véhicule électrifié, cela ne prend pas uniquement en compte les véhicules 100 % électriques – que l'on appelle également BEV (battery electric vehicle) – type Renault Zoe et qui représentent aujourd'hui environ 1 % du marché automobile français. Ce terme englobe également tout type de véhicules utilisant une motorisation hybride thermique/ électrique. Pour répondre à votre question, je pense que l'avenir – du moins au début - appartient à ce type de véhicules et non aux véhicules tout électriques. Quels arguments avancez-vous pour étayer cette thèse ? FRANCK FONTANESI L'une des principales raisons est que l'achat d'un véhicule 100 % électrique reste onéreux, si l'on enlève toutes les primes gouvernementales : le prix catalogue est rarement en dessous de 30 à 35 000 €. Or, le marché français représente quelque 2,5 millions de véhicules dont la moitié est achetée par des particuliers et dont 55 % sont des véhicules de segment A ou B, type Twingo ou Clio, c'est-à-dire des petits véhicules dont le prix moyen à l'achat se situe entre 10 à 15 000 € et qui sont plébiscités par les particuliers (la part des particuliers sur ces segments atteint 70 ou 75 %). Donc, au-delà de la problématique technologique, nous avons une problématique de marché avec le véhicule tout électrique : il faut pouvoir mettre sur le marché des véhicules qui correspondent aux besoins d'un grand nombre d'automobilistes en termes d'usage pour un prix qui les satisfasse. Ce qui n'est pas encore le cas du véhicule 100 % électrique. Certes, on nous annonce des baisses importantes de prix au kilowatt. C'est sans doute vrai, mais quand on analyse les choses et qu'on interroge les acteurs du secteur, on s'aperçoit que c'est très difficile de se faire une opinion car les variables, les paramètres, qui influencent le développement du véhicule électrique bougent constamment et sont à reconsidérer en permanence. C'est la raison pour laquelle je pense que, dans un premier temps, on va certainement voir se développer des véhicules électrifiés de type plug-in hybride, c'est-à-dire que l'on peut recharger, car ils permettent de répondre à une énorme variété de besoins, présents ou à venir, grâce à leur capacité de commuter d'un mode 100 % électrique (avec une trentaine de kilomètres d'autonomie) qui leur donnera accès au centre des villes où le véhicule thermique sera interdit, à un mode utilisant le moteur thermique qui prendra le relais en dehors des villes. Mais des véhicules avec des degrés moindres d'hybridation vont également se développer. Je pense notamment aux véhicules hybrides non rechargeables que l'on connaît déjà et qui vont se développer de manière importante, ainsi qu'aux véhicules microhybrides qui disposent par exemple d'un système d'aide au démarrage avec batteries type 48 volts. Autant de solutions moins onéreuses que le véhicule 100 % électrique, mais qui ont tout de même un impact indéniable sur la consommation de carburant et qui répondent, du moins en partie, à ce souhait légitime des pouvoirs publics de diminuer les émissions de CO2 . Sur le plus long terme, certains évoquent également le véhicule à hydrogène, mais il est pour l'heure très difficile d'avoir une vision définitive de l'avenir de cette technologie et de son impact potentiel sur notre industrie dans le futur. De quoi dépendra le développement de masse du véhicule tout électrique ? FRANCK FONTANESI Il dépendra de très nombreuses variables, notamment des facteurs environnementaux liés à des problématiques géologiques, économiques et peut-être même géopolitiques puisque, comme vous le savez, pour fabriquer des aimants et des batteries, il faut des matériaux et des matières premières dont la production se situe dans des zones lointaines, comme l'Afrique, l'Amérique latine et surtout la Chine. Le travail de ces matériaux pour fabriquer des batteries constitue actuellement un énorme avantage concurrentiel pour la Chine qui est le leader mondial sur ce type de produits. Et il ne faut jamais oublier que l'on peut être confronté à une hausse très forte – ce qui est déjà le cas aujourd'hui – du prix de certains minerais et de certaines matières premières. Je pense que l'avenir du véhicule 100 % électrique, et donc de l'évolution de la batterie, sera très corrélé à des découvertes technologiques qui devront nous permettre de nous passer de certains métaux très précieux. Sinon, il sera très difficile d'atteindre un marché véritablement de masse. FRANCK FONTANESI, directeur Économie et Statistiques de la Fiev Quelles seront les conséquences du déploiement du véhicule électrifié pour l'industrie automobile française ? FRANCK FONTANESI C'est une question primordiale pour notre industrie : où seront produits ces véhicules, qu'ils soient microhybrides, hybrides rechargeables ou non, 100 % électriques ? Car les changements importants que nous constatons dans l'industrie automobile impliquent une refonte totale, au niveau industriel, du système sur lequel nous capitalisons depuis plus d'un siècle. Ainsi, quand on passe à un véhicule électrique, on passe à une motorisation beaucoup moins complexe à maîtriser que la motorisation thermique. Donc, il est clair que l'avantage comparatif des constructeurs occidentaux disparaît de fait, d'autant qu'il n'y a pas vraiment de différence d'un constructeur à un autre. Et quand on regarde aujourd'hui les grands acteurs de la batterie, on constate qu'ils sont presque exclusivement en Asie, notamment en Chine, mais aussi au Japon et en Corée. Il faut donc trouver une réponse au niveau de l'Europe, des constructeurs européens – une réflexion est d'ailleurs actuellement en cours – au fait que la chaîne de traction électrique nécessite beaucoup moins d'investissements, de ressources, de temps. C'est une grande question pour notre outil industriel car le secteur automobile a déjà subi des crises sévères par le passé, comme en 2010 en France où la filière “ Les changements importants que nous constatons dans l'industrie automobile impliquent une refonte totale, au niveau industriel, du système sur lequel nous capitalisons depuis plus d'un siècle. ” automobile a perdu 40 % de ses effectifs avant de se redresser par la suite. Il faut donc rester particulièrement attentif et être en capacité d'établir une production qui soit locale, avec des acteurs européens qui permettent d'affronter des compétiteurs qui vont être très forts. Les pouvoirs publics chinois font tout pour appuyer le développement du véhicule électrique dans leur pays. Faut-il utiliser un modèle similaire en Europe et en France ? FRANCK FONTANESI En ce qui concerne le véhicule électrique, les enjeux sont très différents en Chine et en Europe. En effet, si le gouvernement chinois a pris des mesures drastiques pour le développement du véhicule électrique, c'est premièrement parce que leur niveau de pollution atmosphérique atteint aujourd'hui des sommets car priorité a été donnée à une production industrielle à outrance ces 30 ou 40 dernières années et cela, quel qu'en soit le coût, en particulier au niveau environnemental. Ils ont ainsi pris conscience qu'il leur faut désormais cesser de fonctionner de la sorte, car ils ont des problématiques de santé publique absolument terribles. Deuxièmement, la congestion des centres urbains chinois est exceptionnelle du fait de la masse de ces villes. En fait, en Chine, le véhicule électrique répond à une demande capitale, à savoir déporter la pollution en dehors des villes. C'est ce qui se passe quand on utilise une source d'énergie électrique : on pollue à l'endroit où l'on produit l'électricité, mais pas à l'endroit où cette électricité est utilisée, donc pas à l'endroit où le véhicule électrique circule. Et puis surtout, c'est un défi industriel qui leur est très avantageux car le fait de repartir quasiment d'une feuille blanche fait que l'avantage actuel des constructeurs occidentaux, japonais ou coréens, disparaît. Parallèlement à ce développement important du véhicule électrique dans les agglomérations en Chine, il faut avoir en tête que, compte tenu de sa configuration géographique, ce pays va encore avoir besoin pendant très longtemps de véhicules thermiques, notamment à l'intérieur des terres où le véhicule électrique n'a pas lieu d'être développé. Par conséquent, je pense qu'en Chine, le développement du véhicule électrique vient en complément de celui du véhicule thermique dont le développement est loin d'être terminé. En Europe, notamment en France, la situation est totalement différente, car avec un taux d'équipement qui va de 60 à 70 voitures pour 100 habitants, on peut difficilement imaginer qu'on aille bien au-delà compte tenu de la topologie de notre territoire. Donc le développement à venir du véhicule électrique est davantage lié à un marché de remplacement des véhicules thermiques qu'à un marché qui vient en complément. Cela aura ainsi une incidence directe sur la production des véhicules thermiques, car on remplace une technologie de traction par une autre.

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