Couverture ElectroniqueS n°127

Le numérique et l'électronique sont indispensables au développement de l'industrie du futur qui ouvre la voie à des objets personnalisés au prix des grandes séries. Dans l'usine du futur, les produits sont imaginés de manière collaborative, dans une relation étroite avec les clients, les fournisseurs et les opérateurs. < Lors de la première table ronde, les intervenants ont insisté sur la nécessité de conduire une stratégie de normalisation. Deux grands industriels, Siemens et Bosch, ont, pour leur part, présenté leur conception de l'usine du futur. L 'industrie du futur, chère au cœur des industriels, mais aussi des politiques, que ce soit en France ou en Allemagne, a besoin de l'électronique pour se déployer. Tel est l'enseignement des tables rondes organisées conjointement avec Acsiel Alliance Electronique, en préambule de la remise des Électrons d'or, le 27 juin dernier, à l'espace Saint-Martin, à Paris, par notre magazine ElectroniqueS . «Les consommateurs voudront de plus en plus posséder des objets personnalisés et cela posera d'énormes challenges industriels », prédit Stéphane Klajzingier, directeur général de Lacroix Electronics ( voir notre rubrique « Invité du mois» page 23 ). Les participants aux tables rondes ont estimé que les industriels font déjà tous un peu de l'industrie du futur sans le savoir, avec des ERP, des réseaux sociaux d'entreprise, des MES (acronyme anglais de Manufacturing Execution System ou gestion des processus industriels, grâce à un système informatique dont les objectifs sont d'abord de collecter en temps réel les données de production de tout ou partie d'une usine ou d'un atelier) pour assurer la traçabilité des produits. L'enjeu, c'est de connecter tout ces éléments et de faire en sorte que l'entreprise puisse avoir une réactivité extrême et une compétitivité également très forte. Jacques Levet, directeur des affaires techniques et normalisation de la Fieec, a choisi d'insister sur la nécessité de conduire une stratégie de normalisation pour l'industrie du futur. « La normalisation représente un enjeu stratégique, un vecteur d'influence, un tremplin pour l'innovation, une activité internationale et une action collective. Pour une entreprise, s'engager dans une action de normalisation est un choix stratégique. C'est une arme économique dans un contexte international. Parmi les technologies pour lesquelles il faut engager cette normalisation, la numérisation, la robotique, les procédés d'assemblage multimatériaux et la fabrication additive sont prioritaires », a-t-il expliqué. Le but, c'est l'excellence industrielle Pour Alain Greffier, directeur marketing automatismes et responsable du programme industrie 4.0 de Siemens France, nous avons dépassé la preuve du concept, et l'usine du futur est déjà devenue une réalité. « Avec le numérique, nous sommes confrontés à une accélération du temps, ce que nous faisions en 24 mois doit être fait en 6 mois. Deux générations cohabitent désormais dans l'entreprise. Celle, ancienne, qui a fait son succès, et la nouvelle génération qui se destine à prendre la relève. Auparavant, tout était simple. Les anciens formaient les nouveaux, et lorsque les anciens quittaient l'entreprise, les nouveaux poursuivaient leur tâche. Aujourd'hui, les deux générations cohabitent sur une période de temps commune. Il faut faire évoluer les anciens, et les nouveaux sont des geeks. C'est dans ce contexte qu'il faut opérer le transfert de compétences. Le transfert d'un métier particulier, comme par exemple le fonctionnement d'une presse, risque de nous échapper. Dans les écoles d'ingénieurs, il est difficile de trouver toutes les compétences. L'enjeu consiste donc à engager les meilleurs, à les former à nos métiers, et à les faire évoluer », explique Alain Greffier. Plus aucune société ne possède toute la science nécessaire et toutes les entreprises se doivent de travailler avec un écosystème –les fournisseurs, les artisans, les laboratoires de recherche, les universités –, pour trouver des voies communes. En Allemagne, aux États-Unis, au Japon, les entreprises se sont occupées du produit. Elles se sont efforcées de définir le meilleur produit, de le faire grimper en valeur ajoutée afin d'être le champion du monde dans ce type de produit, au niveau de la planète. Elles se sont dit qu'il fallait avoir des machines connectées, qu'il fal-lait les numériser et elles ont engagé une réflexion dans un sens qui a consisté à déterminer comment construire leur usine et comment organiser leurs équipes pour atteindre cet objectif. Pendant longtemps, les industriels français ont adopté, quant à eux, une démarche différente. Ils ne savaient pas s'ils allaient vendre leurs produits, mais ils ont quand même décidé de faire des efforts en numérisation. « Le produit n'était pas au centre des préoccupations de l'industrie du futur en France. Mais, nous évoluons aussi progressivement vers une démarche centrée sur le produit, car nous avons réalisé que sans ventes, il ne peut pas y avoir d'usine ni d'outil de production », avertit Alain Greffier. Autre préoccupation : la sécurité. « Tous ceux qui vont développer des objets connectés devront se protéger car des chevaux de Troie commencent à arriver dans les outils de production. L'outil de production est vital dans une entreprise. Or, il peut être cracké en 10 minutes et cela n'était pas considéré à sa juste importance, parce qu'il y a un conflit de compétences entre les spécialistes de l'informatique pure et les automaticiens. Ils ne se parlaient pas. Mais aujourd'hui, il y a une convergence des métiers qui fait qu'ils sont obli-gés de travailler ensemble dans la continuité numérique », souligne Alain Greffier. « À quoi sert l'industrie 4.0» ? C'est à cette question que Pascal Laurin, responsable 4.0 de Bosch France, a tenté de répondre. « Le but, c'est l'excellence industrielle, c'est d'être plus performant, de rester compétitif au niveau mondial. Bosch emploie 400 000 personnes pour 73 milliards d'euros de chiffre d'affaires. Mais malgré ce gigantisme, nous n'étions pas à l'abri. En 2013, la direction du groupe a estimé qu'il y avait beaucoup d'usines en Europe, et son objectif était de sauvegarder l'emploi et l'excellence. Un des grands défis que nous devions relever, c'est la personnalisation, la réponse aux besoins du marché, car les consommateurs veulent des produits personnalisés et réalisés avec des coûts bas équivalents à ceux obtenus en production de masse. Nous avons impliqué les gens du terrain au niveau des usines. Nous leur avons libéré du temps, du budget, de la créativité. Nous leur avons demandé de concevoir des projets pilotes et il y a environ 10 projets pilotes par usine qui ont émergé. Les usines ont déployé leurs projets, et nous leur avons attribué un budget. Sur ces 10 projets par usine, les meilleurs sont remontés au niveau central, et nous les avons sauvegardés pour les industrialiser. Notre objectif est de parvenir à un milliard d'euros de gain de productivité en 2020, soit à peu près 30% de progression. Cela a permis au groupe Bosch de saisir de nouvelles opportunités et de présenter de nouvelles offres commerciales. En matière de réussite, nous pouvons citer le site de Mondeville qui produit des cartes électroniques. Il était en danger, car c'était un site monoclient, à savoir Bosch, pour lequel il fabriquait des cartes de calculateur. Nous leur avons donc donné pour mission de trouver d'autres clients. Et pour cela, ils ont bénéficié d'une force commerciale pour passer à l'industrie 4.0, et pour passer du monoproduit, la carte électronique, à une production multiproduits, et c'est un site qui a réussi à être beaucoup plus productif grâce aux technologies de l'industrie du futur », relate Pascal Laurin. L'USINE DU FUTUR, UNE USINE MODERNE, CONNECTÉE, OUVERTE À L'INTERNATIONAL ET COMPÉTITIVE > Après l'usine mécanisée, électrifiée, automatisée, l'usine du futur est déjà en marche. Un mouvement national s'est enclenché avec l'alliance «Usine du futur». Il faut imaginer de nouvelles solutions pour gagner en compétitivité tout en répondant aux défis écologiques et sociétaux. > L'usine du futur, c'est une usine moderne, connectée, ouverte à l'international et compétitive, capable de concevoir et de fabriquer un produit complexe et personnalisé, plus réactive et plus flexible. Elle utilise des procédés de fabrication virtuelle permettant d'anticiper tout le cycle de vie d'un produit avant même sa production. > Dans cette usine, les produits sont imaginés de manière collaborative, en s'appuyant sur des procédés et matériaux nouveaux dans une relation étroite avec les clients, les fournisseurs et les opérateurs, le tout au sein d'une chaîne de valeur numérisée, rapide, économe et source d'informations pour tout l'environnement de l'entreprise, ses collaborateurs et ses clients. > Placé au centre de l'usine du futur, l'homme participe à cette nouvelle excellence qui encourage la créativité et la montée en compétences. Lors de la 2 e table ronde, Éric Bourreli, dirigeant de Refacteo, société de conseil spécialisée dans le numérique et la robotique, et représentant de la Fieec auprès de l'Alliance Industrie du futur, a présenté sa vision. « L'industrie du futur consiste à se positionner vis-à-vis des attentes de ses clients, de ses collaborateurs, de son environnement et de tirer partie de toutes les solutions qui existent. Nous conseillons souvent de commencer par des mini-projets, d'être dans un mode start-up, de travailler son business model pour savoir ce que l'on est capable de proposer, et à quel prix. C'est avec une panoplie de solutions que l'on peut bâtir sa propre usine du futur avec un bon business model qui rapproche la production des besoins du client », estime-t-il. Sans électronique, pas de robot collaboratif Pour Mustapha Bouraoui, vice-président «strategic marketing Europe » de STMicroelectronics, la plupart des segments de marchés de l'électronique sont en train de subir une évolution. « L'industrie ne fait pas exception. Notre vision de cette 4 e révolution industrielle, c'est de voir une démocratisation et une généralisation de l'automatisation des chaînes de production. Cela est rendu possible par une maturité, un niveau d'intégration, une puissance de calcul qui est permise aujourd'hui par des composants semi-conducteurs. Et le deuxième point, qui caractérise l'Europe de l'électronique dans l'industrie 4.0, c'est l'intégration de l'Internet des objets à l'intérieur des usines. Outre nos grands clients, Siemens, Bosch, Schneider Electric, ABB pour l'Europe, Rockwell et General Electric aux États-Unis, Toshiba pour le Japon pour les plus grands, des acteurs de moyenne et de petite taille sont apparus dans la course à l'industrie 4.0. Ils sont extrêmement actifs et, justement, nous leur avons permis d'avancer en ce sens et de fournir à leur tour à leurs clients la possibilité d'avoir une automatisation optimisée, de piloter de manière sécurisée, connectée, énergiquement efficace, les différents procédés industriels. Si l'on prend aujourd'hui un bras articulé, il est composé de trois éléments : la main, l'avant-bras et le bras. Cela fait trois morceaux qui sont en mouvement avec pour chacun, deux axes. Cela fait au total six axes de mouvement, contrôlés par une vingtaine de moteurs intelligents. Et pour ces moteurs intelligents, il faut fournir des composants de contrôle moteur, des processeurs, des calculateurs et des capteurs. L'intégration de ces composants, leur optimisation, permet la généralisation des robots industriels pour la plupart des acteurs économiques. L'implication de l'Internet des objets suppose des capteurs, des processeurs, des microcontrôleurs. Il s'agit de connecter ces éléments, mais avec des spécificités industrielles. Il s'agit de capteurs environnementaux, de température, de pression, d'humidité, chimiques (de gaz, pour détec-ter des fuites par exemple), ainsi que des capteurs de vibration, des capteurs de proximité ou de présence », précise Mustapha Bouraoui. Mathieu Sacrispeyre, directeur général d'Intensens, qui fournit des solutions ayant pour but d'optimiser la maintenance en milieu industriel au sens large (ferroviaire, réseaux électriques intelligents, ville intelligente et industrie intelligente), a fait un parallèle entre la maintenance classique et la maintenance prédictive ou connectée. Dans l'automobile par exemple, la maintenance classique consiste à changer la courroie de distribution au bout d'un certain kilométrage (généralement 120 000 km). Mais selon l'utilisation, cette distance parcourue avant le remplacement de cette pièce pourrait être allongée, ou au contraire, raccourcie si la voiture reste dehors et fait beaucoup de petits trajets. « Avec la maintenance connectée, il est possible de surveiller et remonter l'information à distance sur le fonctionnement de l'équipement. Quand on fait de la maintenance d'équipements distants, l'enjeu consiste à envoyer un technicien, non pas pour la surveillance ou le contrôle, mais pour la réparation, d'où d'importants gains sur les interventions. Dans la maintenance prédictive, on va pouvoir également éviter les pannes et prolonger la durée de vie des équipements », explique Mathieu Sacrispeyre. Adrien Poinssot, directeur commercial France d'Universal Robots, a pour sa part détaillé les avantages de la cobotique, c'est-à-dire de la collaboration entre le robot et l'homme afin de produire mieux, avec plus de flexibilité, et en répondant mieux aux besoins des clients. Par rapport aux robots traditionnels, la cobotique impose de maîtriser la vitesse, la force et le mouvement de façon à ce que l'application soit sûre. Il va falloir embarquer peu d'énergie afin qu'en cas d'interaction avec un opérateur, le danger soit maîtrisé. C'est pour cela que les robots collaboratifs sont en général deux fois plus légers que les robots traditionnels. La cobotique va faire appel à des enjeux technologiques très importants, avec des composants électroniques et mécaniques particulièrement pointus. Cela va donner un robot à taille humaine, facile à déployer, facile à réemployer. La deuxième table ronde a notamment mis l'accent sur la maintenance prédictive et la cobotique. « Sans électronique, nous n'aurions pas pu créer un robot collaboratif, pour répondre à des défis que sont la sécurité avec des architectures redondantes. Les technologies sont très hétérogènes. De sorte que, s'il y a une panne d'un des systèmes ou d'une des mesures, on puisse corriger la panne. La prétention de ce robot collaboratif est de pouvoir être adapté à tous types d'industries, depuis la start-up jusqu'aux grands groupes industriels. Les constructeurs automobiles qui sont des grands experts en robotique traditionnelle, voient dans le cobot une façon d'automatiser certains postes qui étaient difficiles à harmoniser. Des postes pour lesquels l'action de l'opérateur était très importante en termes de coup d'œil, par exemple, afin de vérifier qu'un câble est passé au bon endroit. Du coup, l'arrivée de ce type de solutions met en valeur l'opérateur qui peut se concentrer sur des tâches annexes », conclut M. Poinssot .

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