Couverture ElectroniqueS n°127

Durant la dernière conférence ISSCC, un panel de responsables de l'industrie des semi-conducteurs (Infineon, Nvidia, Bosch, Intel…) et de l'automobile a débattu des récents progrès des véhicules autonomes et surtout des jalons qui restent encore à poser. P our qui parvient à lutter contre les effets désastreux du jet-lag, les tables rondes nocturnes organisées durant la conférence ISSCC, dont l'édi-tion 2017 s'est déroulée début février à San Francisco, s'inscrivent souvent parmi les moments les plus intéressants de cette grand-messe de la conception de semi-conducteurs. Parmi les thèmes abordés cette année, l'assistance à la conduite automobile figurait en tête de proue. Quand donc le commun des automobilistes pourra-t-il se relaxer tranquillement tandis que sa voiture l'emportera automatiquement vers son travail chaque matin ? Et, surtout, quels obstacles restent à relever avant d'atteindre cet objectif que semble s'être fixé toute l'industrie automobile? Markus Tremmel (Bosch), Roger Berg (Denso), Jürgen Dickmann (Daimler), Sahin Kirtavit (Nvidia), Patrick Leteinturier (Infineon) et Umberto Santoni (Intel) ont tenté de répondre à ces questions. Un cerveau numérique sous le capot « L'un des principaux pro-blèmes à surmonter réside dans la quantité de données générées par un véhicule autonome. En données brutes, on en vient assez rapidement à manipuler des pétaoctets, et il est difficile d'envoyer et de centraliser d'énormes quanti-tés de données sur un seul cloud », estime Roger Berg. Dans l'acceptation la plus large du concept d'Internet des objets, le véhicule autonome serait sans doute le nœud IoT le plus complexe. « Une grosse partie du traitement et du cryptage des données doit donc être réalisé en temps réel et au sein du véhicule, explique Markus Tremmel, et cela doit être pris en charge par le hardware ; malheureusement, le prix des supercalculateurs capables d'effectuer ces opérations n'est pas encore réellement compatible avec le marché de l'automobile grand public ». « Les radars doivent apprendre à identifier ce qu'ils voient, ce qui implique l'utilisation d'algorithmes de machine learning tournant sur des processeurs puissants, mais aussi à consommation réduite », ajoute Jürgen Dickmann. Ces supercalculateurs n'ont, en outre, pas encore de format bien défini qui pourrait permettre d'en abaisser le coût grâce à leur standar-disation et à leur production en volume. Tous les fabricants de processeurs graphiques, de microprocesseurs, de circuits spécifiques ou encore de circuits logiques programmables sont sur les rangs, avec chacun des solutions propriétaires, et il est encore trop tôt pour savoir quelle solution technique l'emportera –si jamais une solution l'emporte. Or les besoins sont énormes : « une Tesla actuelle embarque plus de 20 Tops de puissance de calcul », rappelle Sahin Kirtavit. Et les circuits numériques ne sont pas les seuls à ne pas être vraiment prêts pour que monsieur Tout-le-monde puisse acheter une voiture autonome. « Les capteurs de vision, par exemple, n'offrent pas encore les performances nécessaires pour supporter toutes les conditions de circulation, en termes de luminosité extrême notamment », renchérit Markus Tremmel. Sans parler de leur consommation: « actuellement, il faut 2 à 3 kW pour alimenter tous les capteurs d'un véhicule autonome », signale Patrick Letein-turier. La responsabilité en cas d'accident n'est pas le moindre des écueils restant à résoudre pour les véhicules autonomes. La redondance généralisée, trop coûteuse en automobile Autre problème encore loin d'être résolu, celui de la sécurité fonctionnelle. « Cela peut surprendre, mais la sécurité fonctionnelle d'un avion est bien plus facile à mettre en œuvre que celle d'une voiture, car les systèmes aéronautiques sont fermés et ultra-standardi-sés. Une automobile autonome devra, elle, sans cesse échanger de grosses quantités de données avec son environnement et avec les autres véhicules. En outre, il n'est pas question de pallier aux pannes éventuelles en dupliquant tous les systèmes comme dans un aéronef : la redondance généralisée serait, dans une voiture, beaucoup trop gourmande en énergie et surtout trop onéreuse, que ce soit en circuits intégrés, mais aussi en câblage dont le coût peut parfois dépasser celui des composants électroniques », lance Markus Tremmel. D'où la nécessité de faire progresser l'intelligence artificielle dans ces applications, « avec des mécanismes de redondance logicielle » note Sahin Kirtavit, et « en mêlant des réseaux neuronaux avec des techniques de traitement du signal plus traditionnelles, comme la reconnaissance d'images », ajoute Markus Tremmel. Qui dit sécurité automobile dit, en creux, responsabilité en cas d'accident. Cet aspect est clairement l'un de ceux qui freinent le développement de véhicules à conduite assistée. « Pour l'heure, personne ne veut endosser le rôle de responsable légal. Bien sûr qu'il y aura des accidents avec les véhicules autonomes, certains causés par la voiture elle-même et non par le conducteur: sim-plement, il y en aura beaucoup moins qu'aujourd'hui. L'avantage des machines, c'est qu'elles ne brisent pas les règles juste parce qu'elles s'ennuient », pointe Sahin Kirtavit. Qui ajoute: « à terme, un véhicule qui aura rencontré un problème pourra le reporter au cloud, lequel décidera d'une solution (sans doute sous la forme d'un correctif téléchargeable en tant que module d'intelligence artificielle), et cette solution pourra bénéficier à tous les autres véhicules. Les véhicules “n'apprendront” pas de manière individuelle, leurs progrès seront centralisés et redistribués. » Par qui, c'est une autre histoire. « Il faudra notamment déterminer qui ale droit d'ouvrir le capot, d'effectuer des mises à jour et d'accéder aux boîtes noires du véhicule en cas d'accident », relève Patrick Leteinturier. « Les gérants de flottes, comme Uber par exemple, préfèreront de toute façon payer les frais d'assurance et les amendes en cas de problème matériel plutôt que de subir des procédures judiciaires longues, complexes et coûteuses », prophétise Roger Berg. De nouveaux usages pour l'automobile autonome Pour faire face à ces limitations, beaucoup s'accordent à penser qu'un coup de pouce des forces publiques s'avère nécessaire. « L'automobile autonome devra surmonter la défiance naturelle des utilisateurs, et cela passe par des investissements en infrastructures », estime Umberto Santoni. Des infrastructures qui commencent à être mises en place, surtout en Europe, et qui peuvent s'appuyer sur des équipements existant déjà. « Par exemple, nos villes occidentales regorgent de caméras de sécurité conçues justement pour détecter des personnes et des véhicules: il faudra pouvoir accéder à leurs données et les utiliser pour améliorer la conduite autonome », soutient Markus Tremmel. « Il est également nécessaire d'améliorer la couverture réseau du territoire pour approcher les 100%, mais les opérateurs de téléphonie mobile traînent des pieds car ce n'est pas rentable: il faudra peut-être là aussi investir de l'argent public », note Jürgen Dickmann. La communication entre les véhicules constitue un autre domaine où des améliorations notables sont attendues. « Pour l'instant, c'est le Far West, chaque fabricant fait ce qu'il veut et ne s'occupe pas vraiment de communication V2V (véhicule à véhicule) par exemple ; il faudra des années pour que des standards s'imposent », déplore Sahin Kirtavit. Les intervenants ont enfin abordé la question du public visé par ces véhicules autonomes. « Les services comme Uber et Lyft sont des cibles privilégiées, et seront sans doute les premiers utilisateurs de voitures autonomes: comme ils connaissent le trajet à l'avance, ils peuvent envoyer le bon véhicule, autonome ou non, en fonction de la route », estime Sahin Kirtavit. Roger Berg rappelle d'ailleurs que Ford a pour objectif de lancer une voiture autonome (au moins dans certains environnements) en 2021, mais qu'il visera d'abord les flottes de véhicules. Bien sûr, la conduite automobile reste un plaisir personnel auquel les conducteurs ne voudront pas tous renoncer… « mais, honnêtement, la conduite en agglomération est souvent très ennuyeuse et routinière, sans même parler des bouchons : il est probable que de nombreux automobilistes continueront de conduire lorsqu'ils partent en goguette le weekend, mais préféreront laisser faire la voiture lorsqu'ils se rendent à leur travail, en utilisant ce temps pour lire leurs e-mails par exemple », avance Jürgen Dickmann. À terme, c'est peut-être même un changement profond du mode d'utilisation personnelle de l'automobile qui sera impulsé par les véhicules autonomes. « Il est permis d'imaginer des véhicules autonomes qui seraient sans cesse utilisés, pour différentes tâches: transporter les gens à leur travail ou les enfants à l'école bien sûr, mais aussi, pourquoi pas, pro-fiterdes longues heures d'inutilisation durant la journée pour être loués à d'autres personnes ou pour transporter des colis », imagine Roger Berg: « en fin de compte, il y aurait moins de voitures en circulation car elles seraient mieux utilisées ». UNE TABLE RONDE DE SPÉCIALISTES DE L'AUTOMOBILE Jürgen Dickmann, chargé des systèmes radars, Daimler Patrick Leteinturier, responsable des systèmes automobiles, Infineon > Sahin Kirtavit, viceprésident chargé de la conduite autonome, Nvidia > Markus Tremmel, responsable des systèmes ADAS, Bosch Umberto Santoni, responsable de la sécurité fonctionnelle dans l'IoT, Intel

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