Couverture ElectroniqueS n°127

En semi-conducteurs, l'Empire du Milieu s'est doté de moyens à la mesure de son ambition: remonter la chaîne de fabrication de l'électronique jusqu'à devenir un acteur incontournable de la conception et de la production de circuits intégrés, y compris dans le haut de gamme. < A la tête de Tsinghua Unigroup, Zhao Weiguo commande l'un des principaux fournisseurs de circuits intégrés chinois et vise à évoluer vers les composants haut de gamme, fut-ce à coups d'acquisitions. A près tout, la recette a déjà fait ses preuves. Par le passé, plusieurs pays asiatiques ont, grâce à des investissements massifs et une volonté institutionnelle indéfectible, réussi à se faire une place au soleil des semi-conducteurs. On a ainsi longtemps moqué le « made in Japan » et redouté l'espionnage industriel nippon avant de voir le Japon devenir une grande puissance de la microélectronique ; de même, un Samsung, qui n'était encore qu'une marque de téléviseurs bas de gamme il y a vingt ans de cela, a réussi de manière spectaculaire à s'imposer comme un géant de l'électronique mondial, tant au niveau des produits finis que des composants, dont il est aujourd'hui le second fabricant mondial, seulement devancé par Intel. On pourrait également citer l'exemple de Taiwan, qui était à peine industrialisé à la fin de la Seconde Guerre mondiale… Dans tous ces cas, les Etats-Unis ont joué un rôle prépondérant: il s'agissait de contrecarrer l'influence communiste en arrosant ces pays de devises et d'investissements stratégiques. Et c'est aussi avec l'aide, plus ou moins volontaire, des Etats-Unis que le principal pays asiatique, la Chine, tente à son tour de remonter la chaîne de valeur de l'électronique en se bâtissant une industrie du semi-conducteur. En l'occurrence, la Chine ne manque pas d'atouts: une puissance financière inégalée (le pays étant devenu le premier bailleur de fonds de l'Amérique, son principal client, dont elle maintient la tête hors de l'eau en rachetant sa dette abyssale), une industrie électronique locale qui assure déjà la production de la plupart des produits finis vendus dans le monde, et un régime politique qui, pour le meilleur et pour le pire, est en mesure d'imposer des plans industriels à long terme. Son rival indien ayant visiblement choisi de se concentrer sur la partie logicielle de l'électronique, la Chine semble avoir les mains libres pour devenir un ogre des semi-conducteurs… Mais Rome ne s'est pas faite en un jour. Au cours des années 90, Pékin a d'abord voulu investir dans la partie fabrication, souvent via des entreprises d'Etat pures et dures, en arrosant de subventions plus d'une centaine de sites de production éparpillés dans une quinzaine de provinces, aucun ne parvenant réellement à atteindre la masse critique nécessaire – jusqu'à l'apparition du fondeur SMIC créé en 2000 par un améri-cano-taiwanais et soutenu par le pouvoir local. L'Etat central favorisait également la formation et les universités afin de rattraper son retard académique, au détriment de l'aspect industriel et commercial, et échoua donc à fournir des débouchés locaux susceptibles de retenir les étudiants chinois fraichement formés. LES PRINCIPAUX FOURNISSEURS CHINOIS DE L'INDUSTRIE DES SEMI-CONDUCTEURS > SMIC est le principal fondeur chinois. Il maîtrise la fabrication de circuits complexes sur tranches de 200 et 300 mm, avec des technologies allant du 0,35 µm au 28 nm, et a réalisé un chiffre d'affaires de 2 milliards de dollars en 2014, ce qui en fait le cinquième fondeur mondial derrière TSMC (25,2Md$), UMC (4,6Md$), Globalfoundries (4,4Md$) et Samsung (2,4Md$). > Avant sa création en 2004, HiSilicon était la branche semi-conducteurs de Huawei, l'un des principaux fabricants télécoms en Chine. Depuis, la société de conception de Shenzhen a gardé des liens forts avec Huawei, qui demeure son principal client et dont il équipe la plupart des smartphones avec des processeurs multicœurs ARM parmi les plus complexes de l'industrie. > Spreadtrum Communications est une société de Shanghai dont le catalogue est constitué de circuits pour téléphones portables d'entrée et de milieu de gamme. Racheté par Tsinghua en 2013, Spreadtrum fournit désormais des circuits jusqu'en technologie 28 nm à des sociétés chinoises et non chinoises comme Samsung. Son CEO emblématique, Leo Li, a passé une grande partie de sa carrière en Occident chez Broadcom, Ericsson et Rockwell Semiconductors. > RDA Microelectronics est désormais une autre filiale de Tsinghua Unigroup. Basée à Shanghai, elle est spécialisée dans les circuits (bande de base, RF, puissance) pour téléphones portables d'entrée de gamme et les circuits de réception. > Rockchip était à l'origine spécialisé dans les puces de décodage MP3 utilisées dans les baladeurs numériques bon marché. Basée à Fuzhou, la société s'est depuis concentrée sur les processeurs multicœurs ARM (et désormais Atom via une coopération avec Intel) pour téléphones, tablettes et systèmes audio/vidéo, y compris des modèles à 8 cœurs 64 bits et à moteur graphique intégré. Sur ce même créneau figure également Allwinner Technology. > Citons également Huada Electronic Design, Nari Smart-chip Microelectronics, Fudan Microelectronics et Huahong Integrated Circuit (circuits pour cartes à puce), Datang Semiconductor et Leadcore Technology (adossés à Datang Telecom et spécialisés dans les jeux de circuits pour téléphones portables), GalaxyCore (imageurs Cmos et drivers LCD, société liée à SMIC), GigaDevice (mémoires flash Nor et Nand, microcontrôleurs Cortex-M3), Silan Microelectronics (microcontrôleurs, composants analogiques et mixtes) et ZXIC (circuits pour téléphones portables, lié à ZTE). > Outre le géant SMIC, on compte Shanghai Huahong Grace Semiconductor Manufacturing, XMC, Huali Microelectronics et ASMC parmi les principales fonderies chinoises; WLCSP, Nantong Fujitsu Microelectronics, Tianshui Huatian Technology et JCET sont, eux, spécialisés en encapsulation et test. Un plan de développement très ambitieux Mais la Chine a revu à la hausse ses ambitions et changé ses méthodes. Enoncé en juin 2014, l'objectif officiel est de maintenir une croissance de plus de 20 % pour l'industrie chinoise des semi-conducteurs à l'horizon 2020. Plus précisément, le plan chinois implique la maitrise, dans ce laps de temps, des technologies de production 14/16nm, de la conception de circuits intégrés complexes compétitifs avec ceux de l'Occident, du test et de l'encapsulation en technologies de milieu et de haut de gamme, de la fabrication sur tranches de 300mm y compris à l'exportation, et des équipements de production en 45/65nm fabriqués localement. Au total, plus de 21 milliards de dollars seront investis dans cet effort, une somme répartie entre différents fonds aux objectifs distincts (production, conception, encapsulation, etc.). Si l'on ajoute les fonds levés par diverses entités géographiques (Beijing, Shanghai, Wuhan, Hefei, Xiamen) et ceux émanant du tissu industriel existant, ce sont environ 100 Md$ qui seront dévolus à la constitution d'une industrie des semi-conduc-teurs chinoise compétitive. Celle-ci pèse déjà environ 10%delaproduc-tion mondiale de puces et 20 % du marché global de l'encapsulation, mais reste encore trop peu présente hors des composants de commodité à bas prix. Pékin a même, en mai dernier, poussé encore plus loin ses ambitions dans un plan « Made in China 2025» visant à encourager les industries de pointe et, en premier lieu, celle des semi-conducteurs. L'objectif est désormais d'assurer une autosuffisance en circuits intégrés à hauteur de 40 % en 2020 et 70% en 2025. «Cela n'est peut-être pas complètement réaliste car il faudrait pour cela que toutes les nouvelles capacités de production installées dans le monde le soient en Chine », estime Christopher Thomas, analyste chez McKinsey. SMIC est le premier fondeur de circuits intégrés chinois et le cinquième mondial. Acquisitions, croissance interne, ouverture internationale La consommation chinoise de circuits intégrés a en effet atteint 160Md$ en 2014 (+9%), soit la moitié environ de la consommation mondiale – la Chine importerait ainsi chaque année davantage de semi-conducteurs que de pétrole brut! Même irréalistes, ces objectifs indiquent néanmoins le niveau des ambitions du pays, puisque la part des semi-conducteurs chinois n'y atteignait que 9% l'an passé et était projeté à environ 15% en 2020 sans ce plan de développement massif. Pour atteindre ces objectifs, la Chine est désormais engagée dans une triple politique faite d'acquisitions, de croissance interne et d'accueil des investissements étrangers. Du côté des acquisitions, on l'a vu, les fonds ne manquent pas, et s'avèrent quarante fois plus importants que lors des précédents plans chinois de développement de l'industrie des semi-conducteurs. Plusieurs sociétés américaines ont déjà fait les frais de cet appétit. C'est le cas d'Omni-Vision, en cours de rachat par un consortium chinois mené par Hua Capital Management, CITIC Capital Holdings et GoldStone Investment. Les actionnaires de l'américain recevraient au total environ 1,9Md$ en cash au terme de l'opération. L'actuel CEO d'OmniVision, Shaw Hong, devrait garder la tête d'une entreprise où il est vrai que la présence chinoise a toujours été forte, du président Raymon Wu au CFO Anson Chan en passant par le COO Henry Yang. Longtemps leader mondial des ventes d'imageurs Cmos, l'américain s'est depuis fait damer le pion par Sony, malgré le succès, surtout depuis deux ans, de ses capteurs à illumination par l'arrière (BSI). OmniVision, qui s'est également attaché à développer des circuits spécifiques de traitement du signal pour accompagner ses imageurs, a gagné des parts de mar-chés en Asie (surtout avec la gamme PureCel) et s'est attaqué à de nouveaux débouchés comme l'automobile et la sécurité, afin d'être moins dépendant des humeurs des grands fabricants de téléphones portables, un secteur qui absorbe tout de même 61 % de ses capteurs. Fournissant plus de 850 millions d'imageurs par an, le californien compte principalement sur TSMC pour la fabrication de ses capteurs, et sur VisEra (sa joint-venture avec TSMC) pour le dépôt des filtres couleur et des microlentilles à la surface des puces. Dans la stratégie chinoise qui vise à posséder chacune des technologies essentielles de la microélectronique, ce spécialiste des imageurs Cmos est une pièce de choix. Du côté des mémoires, la Chine reste pour l'heure dépourvue des deux gammes qui ont le vent en poupe, les Dram et les flashs Nand. Des composants stratégiques mais qui requièrent des technologies de production spécifiques et des reins solides pour atteindre la masse critique permettant d'en tirer des bénéfices, d'où leur concentration entre quelques mains seulement. En un sens, la Chine produit d'ailleurs déjà de telles mémoires, par l'intermédiaire de l'usine Dram de SK Hynix et du site de Xi'an de Samsung qui fabrique des flashs V-Nand sur tranches de 300 mm. Il semble toutefois que l'américain Integrated Silicon Solutions (ISSI) soit tombé dans l'escarcelle d'un consortium financier chinois baptisé Uphill, malgré les contre-offres répétées de Cypress Semiconductor. ISSI aurait accepté l'offre chinoise à 23 $ par action, soit une valorisation d'environ 730,5M$. Dans le cadre de l'accord de rachat d'Uphill, ISSI doit d'abord avoir revendu sa filiale taiwanaise au fabricant local de circuits mobiles MediaTek pour 27,1M$. La balle est désormais dans le camp des autorités taiwanaises, mais aussi américaines, appelées à valider les différents volets du rachat. Uphill regroupe différents investisseurs dont le groupe Hua Capital Management, à l'œuvre dans le rachat d'OmniVision, et qui gère un fond public dédié à la conception de circuits intégrés. Si Micron Technology a finalement refusé l'offre de 23 Md$ posée récemment sur la table par Tsinghua Unigroup, les fournisseurs américains semblent donc dans le collimateur des chinois. Il est vrai que la récente prise de participation d'Unigroup au sein du taiwanais Powertech Technology (test et encapsulation de circuits) n'a pas été sans heurts du côté des autorités, et tout investissement chinois à Taiwan soulève encore des vagues politiques complexes à appréhender (tout comme, d'ailleurs, dans d'autres pays asiatiques). Du côté de l'encapsulation, on rappellera le rachat récent de STATS ChipPac, une société fondée à Singapour et maitrisant des procédés haut de gamme (2,5D/3D, WLP, flip-chip…), par le chinois Jiangsu Changjiang Electronics Technology (JCET) pour 780M$. Construite à l'origine pour la fabrication de jeux de circuits en 65 nm, l'usine Intel de Dalian va bénéficier d'un investissement d'au moins 3,5Md$ pour pouvoir produire des mémoires flash Nand de pointe. > Adossé à Huawei, HiSilicon conçoit des processeurs pour smartphones parmi les plus avancés de l'industrie, tels que ce Kirin 950 annoncé au dernier CES de Las Vegas et qui équipe le Huawei Mate 8. Créer des champions nationaux Un autre axe de croissance favorisé par Pékin consiste à promouvoir la croissance interne de l'industrie chinoise des circuits intégrés, en favorisant la création de champions nationaux. Cela passe par la consolidation d'une industrie encore très morcelée, via des fusions-acquisitions notamment. Certains spécialistes locaux font déjà figure d'exemples et parviennent à être compétitifs, d'un point de vue technologique, avec la concurrence occidentale : on citera par exemple la société de conception HiSilicon, issue des rangs de Huawei et présente entre autres dans le domaine des circuits bande de base pour smartphones. Cette croissance interne s'articule notamment autour de l'université pékinoise de Tsinghua, la plus prestigieuse du pays et spécialisée, depuis sa création en 1911, dans les sciences et l'ingénierie –et l'envoi de ses meilleurs éléments en post-formation dans les universités américaines. Ayant formé de nombreux officiels du pouvoir communiste (dont l'actuel pré-sident Xi Jinping), Tsinghua est aujourd'hui bien plus qu'une université d'élite: elle contrôle en effet la société d'Etat Tsinghua Unigroup, l'un des bras financiers chargés par Pékin d'investir en microélectronique. Tongfang Guoxin Electronics, société affiliée à Tsinghua, aurait notamment l'intention d'investir jusqu'à 15Md$ pour créer des usines de semi-conducteurs et procéder à des rachats. Selon son président Zhao Weiguo, cité par Reuters, Tsinghua Unigroup disposerait au total d'une bourse de 300 milliards de yuan (47 Md$) pour les cinq ans à venir. Déjà entré àhau-teur de 15% dans le capital de Wes-tern Digital (via une autre filiale, Unisplendour) et partie prenante des activités chinoises de HP en ser-veurs et stockage, Tsinghua Uni-group alimente d'autres rumeurs persistantes, notamment sur l'avenir de Globalfoundries – une proie possible pour les investisseurs chinois, mais compliquée par la récente acquisition d'activités stratégiques d'IBM. Tsinghua Unigroup a également mis la main en 2013 sur Spreadtrum Communications (processeurs bande de base) et RDA Microelectronics (composants radiofréquences), deux des principales sociétés de conception fabless du pays, afin de consolider leurs activités… devenant, au passage, le plus important fournisseur de circuits intégrés chinois, en concurrence frontale avec l'adversaire (et modèle) taiwanais MediaTek pour équiper les téléphones portables d'entrée et de milieu de gamme. Attirer les investissements occidentaux Enfin, la Chine entend attirer les investissements de sociétés étrangères dans le secteur des circuits intégrés, afin d'acquérir du savoir-faire par capillarité en créant un tissu industriel dense à même de favoriser les spin-of, l'émergence d'une communauté scientifique et industrielle de haut niveau et le retour d'expatriés actifs dans ce secteur. Il semble qu'elle ait pour cela compris qu'une certaine souplesse était nécessaire et, après avoir longtemps imposé sa patte sur les usines et les sites de conception qui s'ouvraient en ses terres, par exemple en imposant des joint-ven-tures avec des sociétés locales ou des normes spécifiques, parait prête à laisser les investisseurs et les entrepreneurs aux commandes. Le capital-risque chinois est, ainsi, encouragé à se développer et à investir dans la microélectronique, à l'image de ce qui a alimenté le succès de la Silicon Valley américaine – et de ce qui manque tant en Europe. Cette révolution culturelle devrait aider les investisseurs étrangers à comprendre, à leur tour, le changement profond du marché chinois, qui n'est plus seulement synonyme de production à bas coût mais aussi, de plus en plus, de marché intérieur dynamique et de centre de compétences incontournable. Intel ne s'y est pas trompé, qui a récemment annoncé qu'il allait convertir son site chinois de production de processeurs de Dalian en usine à mémoires flash, au terme d'un lourd investissement d'au moins 3,5 Md$. Intel a également investi 1,5 Md$ dans une filiale de Tsinghua Unigroup. De son côté, le fondeur taiwanais UMC collabore avec le gouvernement du Xiamen et FuJian Electronics pour construire une usine de 6,2Md$. Qualcomm a également annoncé son intention de s'associer avec le fondeur chinois SMIC pour y développer des process 14 et 28 nm. Qualcomm et la province chinoise de Guizhou viennent en outre de créer une joint-venture baptisée Guizhou Huaxintong Semi-Conductor Technology, société dotée d'un capital initial d'environ 280 millions de dollars et destinée à la conception et à la vente de jeux de circuits pour serveurs en Chine. Avec Huawei et l'Imec, une joint-venture de recherche et développe-ment s'est également formée dans l'usine SMIC de Shanghai afin de mettre au point un process 14nm de type FinFET.

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