Couverture ElectroniqueS n°127

Le brasage au plomb est toujours utilisé pour les domaines de la défense, de l'aéronautique, du ferroviaire et du médical. Toutefois, le manque de composants au plomb oblige à des opérations de débillage-rebillage des BGA et au brasage au plomb de composants RoHS. L e décret n° 2013-988 du 6 novembre 2013 relatif à la limitation de l'utilisation de certaines substances dangereuses dans les équipements électriques et électroniques est la transcription en droit français de la directive européenne 2011/65 du 8 juin 2011. Dite RoHS2, cette directive abroge et remplace la directive RoHS1 2002/95 mise en application en 2006 en France. Dans la pratique, le décret d'application de novembre 2013 confirme que ne sont pas concernés par la réglementation européenne sur les substances dangereuses (RoHS), les matériels électroniques utilisés par la défense, le spatial, l'aéronautique, le ferroviaire et le naval, les matériels médicaux implantables actifs ainsi que certains matériels industriels dits fixes. Les dispositifs médicaux de diagnostic in vitro – qui sont dédiés à l'analyse d'échantillons biologiques– sont, eux, exemptés jusqu'au 22 juillet 2016 ; et les instruments de contrôle et de surveillance industriels le sont jusqu'au 22 juillet 2017. A noter que théoriquement, les équipements électroniques automobiles sont exemptés puisqu'ils appartiennent à la catégorie, exemptée, « des moyens de transport de personnes ou de marchandises » ; toutefois, dans la pratique, les fabricants de matériels électroniques pour automobiles sont passés depuis un moment à une fabrication RoHS. Le brasage étant la clé de voute de l'assemblage, le maintien en conditions opérationnelles des matériels de brasage au plomb est crucial pour la filière plomb. Les exemptions à la directive RoHS couvrent des secteurs d'application qui, en France, représentent une activité indus-trielle importante comme l'aéronautique, la défense et le ferro-viaire. Une enquête menée auprès de neuf sous-traitants en électronique de l'Hexagone –l'un d'eux n'a pas souhaité être nommé– nous a montré que ces derniers réalisent de 20% à 60% de leur chiffre d'affaires avec la filière au plomb. Selha, un spécialiste de l'aéronautique, annonce 60% avec notamment une activité au plomb en aéronautique, en nucléaire et en ferroviaire. L'entreprise TME (50 personnes, Gorron) réalise 50 % de son chiffre d'affaires avec la filière au plomb grâce à des commandes en provenance de l'aéronautique, de la défense et de la recherche pétrolière. La filière plomb représente 30 % des ventes de Lacroix Electronis via les activités de ce groupe en aéronautique, en défense, en industriel et en automobile (SAV), 30% des ventes d'Arelis, 30 % de celles d'Actia dont l'activité au plomb couvre notamment l'aéronautique et la défense, 30 % de s ventes de Micronique, une PME francilienne très impliquée en aéronautique et médical, de 25 à 30 % de celles d'Eolane (aéro-nautique, défense et ferroviaire) et seulement 2 % de MSL Circuits, focalisé sur l'automobile et le médical, preuve que l'automobile est passée au RoHS. L'aéronautique et la défense sont les deux mamelles du process au plomb. Or, dans l'Hexagone, la part de chiffre d'affaires représentée par ces industries chez les sous-traitants en électronique est importante. Une lente diminution La demande de brasage au plomb, de l'avis de la majorité des interviewés, diminue lentement. Eolane estime qu'elle est stable. Micronique précise qu'elle demeure constante en aéronautique mais diminue en médical, « les nouveaux produits étant développés en process RoHS » –ce qui s'avère conforme à la fin des exemptions pour les matériels médicaux (hors implantables actifs) prévue pour juillet 2016. Au plan des équipements destinés spécifiquement à la filière plomb, les entreprises consultées ont indiqué que leurs activités de brasage utilisent, pour la partie manuelle (soudures et retouches), des postes de travail équipés de fers et, pour la partie automatisée, des matériels de brasage à la vague standard et sélectif et des bains d'étain pour l'étamage et le dédorage. Quant aux fours de refusion (utilisés pour les composants CMS), ce sont des matériels mixtes utilisables à la fois pour le sans-plomb et le plomb. Les équipements de brasage à la vague datent de 9 ans chez Micronique, de 15 ans chez Are-lis, Lacroix (vagues standards) Selha et MSL Circuits, par exemple. Les investissements en matériels spécifiques au plomb restent marginaux, selon les interviewés. « Il y a trois ans, nous avons acquis des bains d'étamage et dédorage », annonce-t-on chez TME. « Nous avons investi il y a 4 ans pour adapter une vague sélective au process plombé », indique Lacroix qui s'appuie sur des vagues sélectives âgées de 5 à 10 ans. Ce groupe n'a pas, « pour le moment d'autre besoin identifié ». « Nos investissements ont environ 10 ans. Pour satisfaire le niveau de qualité requis, nous avons continué d'investir en process plomb », note Micronique qui indique « un investissement dans une vague au plomb lors de la mise en œuvre de la directive RoHS ». Micronique n'a pas prévu d'autres investissements pour sa filière au plomb. Tout comme Eolane et Selha qui insistent sur l'importance du maintien en conditions opérationnelles des équipements actuels. Les fours de refusion sont, eux, compatibles à la fois avec le brasage au plomb et le brasage RoHS. « Nous n'avons réalisé aucun investissement spécifique au sans-plomb, les équipements récents étant tous compatibles plomb/sans-plomb », explique ainsi Selha. Pour la refusion, ce sous-traitant dispose de 5 lignes avec fours à convection âgés de 2 à 10 ans. Actia, dont les derniers achats pour la filière au plomb datent de 2008, annonce des investissements pour 2016 de façon à « pérenniser certains équipements notamment pour des applications aéronautiques ». UNE ÉTUDE IPC SUR L'ÉVOLUTION DES ALLIAGES AU PLOMB > L'IPC vient de publier une étude portant sur les problèmes et les prévisions relatifs au sans-plomb à destination de l'électronique militaire et aérospatiale, qui fait le point sur l'évolution du sans-plomb dans ces domaines. « L'étude rappelle que le fait de maintenir en activité une filière au plomb est un facteur de dépenses supplémentaires, sans compter la raréfaction des composants au plomb », note Sharon Starr, directeur de recherches chez IPC. Ce rapport évalue, par exemple, le coût du rebillage. Il pointe les utilisations susceptibles de basculer dans le sans-plomb et évalue, pour les 10 ans à venir, la consommation d'alliages de brasage sans plomb et d'alliages au plomb. L'étude « Issues and Outlook for Lead-Free Electronics in Military and Aerospace Applications » est disponible au prix de 250 dollars pour les adhérents à l'IPC et de 500 dollars pour les non-adhérents. Rebillage et procédé «backward» Le maintien de deux filières au sein de l'entreprise est source de complexité et de dépenses. «Le challenge est de maintenir notre flexibilité plomb/ sans-plomb de façon à nous adapter au mieux aux besoins de nos clients qui, en fonction des secteurs d'activité, ont une approche différente de ces technologies », remarque Actia. « Nous avons spécifié des procédés d'étiquetage, dédié des lieux de stockage ainsi que des petits outillages pour chacun des process. Et nous avons mis en place des procédures strictes visant à casemater le process plomb et le process sans plomb », annonce, pour sa part, Selha. « Le maintien du procédé plomb alourdit la supply chain », résume ce sous-traitant. Selha pointe en particulier la diminution de l'offre de composants au plomb: « La quasi-totalité des composants électroniques et des finitions des circuits imprimés sont maintenant en sans-plomb », constate la société. « Le défi majeur est de trouver des composants au plomb », renchérit Arelis. D'où une problématique qui est celle de l'obsolescence des composants : choix entre stockage de longue durée, recherche de composants au plomb via brokers - avec les précautions d'usage liées aux secteurs sensibles d'utilisation, c'est-à-dire notamment la mise en place d'une détection des contrefaçons-, et redesign. « L'obsolescence des composants plombés sans équivalents plombés, notamment des composants en boîtiers BGA ( Ball Grid Array ) oblige à un rebillage de ces derniers », note Lacroix Electronics. «La problématique majeure est la disponibilité des composants au plomb : aujourd'hui, certains composants BGA à billes RoHS doivent être débillés puis rebillés en plombé », renchérit Micronique. Cette nécessité de rebillage des BGA a été pointée par la majorité des interviewés. Tout comme l'utilisation de brasage en process plomb de composants sans plomb, ce qui oblige à des réglages et des qualifications. « Le défi majeur est de trouver des composants au plomb de façon à éviter une requalification de certains process ou produits », constate ainsi Arelis. « Nous sommes obligés de réaliser des soudures de composants RoHS avec de la brasure au plomb: ce qui nécessite parfois de qualifier ces pro-cess quant à la fiabilité des joints de soudure », explique une autre société qui a souhaité garder l'anonymat. Ces procédés de brasage au plomb de composants sans plomb sont dits «backwards». > Le maintien d'une filière au plomb alourdit la supply chain. Il faut doubler les étiquetages, les lieux de stockage ainsi que les petits outillages, et mettre en place des procédures strictes pour ne pas mélanger process au plomb et process sans plomb. La disparition des BGA au plomb contraint les sous-traitants à un débillage de BGA RoHS suivi d'un rebillage au plomb. In fine, « les défis à relever sont ceux liés à la gestion des matériels en fin de vie: obsolescence des composants, maintenance des équipements, formation des techniciens… », résume MSL Circuits. Quant à l'avenir, il sera fonction de la stratégie des fabri-cants de matériaux. Laissons parler Selha : « L'avenir du plomb est lié à la stratégie des fournisseurs de matières premières, en particulier des fournisseurs de crèmes à braser. Le jour où ces fabricants décideront d'arrêter de produire des crèmes à braser plombées faute de marché représentatif, on sera face à un problème réel ».

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