Le colloque annuel de l’Arcep (le régulateur des communications électroniques), qui s’est tenu le 9 octobre dernier, a tenté de répondre cette année à la question suivante : “où en sommes-nous de la grande convergence des réseaux de communications électroniques ? “. Nous présentons ici les grandes lignes du discours d’introduction de ce colloque, prononcé par le président de l’Arcep, Jean-Philippe Silicani.
“Qu’entendons-nous par convergence ? La Commission européenne la définissait en 1997 comme la capacité de différents réseaux et plateformes à transporter différents services. Autrement dit, la capacité, pour tous les contenus, d’être acheminés par tous les réseaux. Cette problématique concerne donc tous les acteurs liés aux réseaux et tous ceux liés aux contenus.
Ceci explique la diversité de nos intervenants : parlementaires, régulateurs français ou étrangers, opérateurs télécoms, équipementiers, entreprises de services en ligne, universitaires, avocats, associations de consommateurs ou encore analystes financiers.
La convergence se construit dans un espace à trois dimensions, constitué des réseaux, des terminaux et des usages.
En premier lieu, les réseaux de communication électroniques.
C’est d’abord la convergence des réseaux et services fixes, avec les réseaux et services mobiles. Elle se manifeste dans l’activité même des opérateurs qui sont toujours plus convergents. S’agissant des opérateurs français, ce mouvement a concerné Bouygues Telecom, opérateur mobile, qui s’est élargi au fixe, et Free, opérateur fixe, qui s’est élargi au mobile. De même, Numericable, opérateur fixe, est en train de fusionner avec SFR, opérateur fixe et mobile. L’ensemble des 4 grands opérateurs français sont donc désormais convergents en termes d’activités.
Cela leur permet de mettre en œuvre, sur le plan technique et opérationnel, la convergence de leurs réseaux fixes et mobiles. En effet, la nature même du réseau, qu’il soit fixe ou mobile, a de moins en moins d’incidence ; elle devient presque transparente pour les utilisateurs. Ce mouvement se manifeste dans la capillarité même des réseaux, puisque les technologies hertziennes deviennent en quelque sorte le ” last mile ” de l’ensemble des réseaux, fixes et mobiles : votre réseau à domicile est sans doute en Wi-Fi, vous pouvez aussi installer des “femtocells” dans votre box, et bientôt vous passerez par les “smallcells”, dans le métro par exemple. La convergence est donc à l’œuvre dans les différentes strates du réseau, de la boucle locale aux réseaux dorsaux, en passant par les réseaux de collecte.
Toute cette convergence se fait autour d’une norme technologique, l’IP. Sa plasticité lui permet de s’adapter très facilement et, de ce fait, elle est pérenne, dynamique et compétitive. Cela facilite le développement du très haut débit, aussi bien en matière de couverture (avec 70% de couverture 4G et, à la fin de l’année, près de 13 millions de lignes éligibles au très haut débit, qu’on appelle encore fixe, soit près de 45% des foyers français) qu’en matière d’usages (de plus en plus de débit, de plus en plus de consommation de données) ou encore en ce qui concerne les abonnements : à la fin de l’année, on approchera les 3 millions d’abonnements au THD fixe, et sans doute les 10 millions d’usagers 4G.
Nous nous dirigeons ainsi vers des réseaux essentiellement fixes avec des usages essentiellement mobiles. Les équipementiers et les opérateurs sont les principaux vecteurs de cette première dimension de la convergence.
La convergence concerne, en deuxième lieu, bien sûr, les terminaux.
Je pense naturellement aux téléphones portables, aux smartphones, aux tablettes, aux phablettes, aux téléviseurs connectés, aux ordinateurs, et bien sûr, aux box des opérateurs. Soulignons ici l’importance des innovations des opérateurs français qui ont développé de véritables modèles de box convergentes, il y a maintenant plus de 10 ans. Cela a permis l’essor des offres, d’abord triple play, puis quadruple play. Tous ces terminaux, et en premier lieu ces box, constituent de véritables hubs, depuis lesquels l’utilisateur final accède à des contenus toujours plus riches, toujours plus innovants. Avec le décloisonnement et la déspécialisation des réseaux, tous les outils se connectent aux réseaux fixes ou mobiles, que cela soit en situation de mobilité ou en position fixe. De surcroit, comme l’illustre l’actualité du salon mondial de l’automobile, les voitures – mais aussi les maisons – vont également devenir de véritables hubs, reliés aux réseaux télécoms, que ce soit pour des usages M2M ou pour permettre aux particuliers d’accéder à tous les usages de l’internet.
Les équipements terminaux jouent donc un rôle majeur : ils sont le lien entre les réseaux et les usages.
Enfin, les usages que permettent les deux convergences précédentes.
Les usages stimulent l’innovation ainsi que le développement des réseaux et des terminaux. Et réciproquement. Or les usages permis par les réseaux de communications électroniques sont innombrables : les réseaux sociaux, essentiels au bon fonctionnement de la démocratie, la télémédecine, la télé-éducation, le commerce en ligne, le cloud, le big data, le M2M, les jeux en ligne, ou encore les medias audiovisuels, linéaires ou non linéaires. La prophétie de 1997 de la Commission européenne se réalise sous nos yeux : tous les réseaux transportent tous les contenus et tous les services. Il n’y a quasiment plus de réseaux dédiés à un service donné.
Cette multiplication des usages se traduit par une hausse continue du volume de données échangées, aussi bien sur les réseaux fixes que mobiles. S’agissant du trafic annuel global sur internet, il devrait en 2016 dépasser le seuil du 1 Zettabit (1021 bits) à ce niveau d’abstraction, on se perd. Retenons que ce trafic croit de plus de 20% par an. Le trafic mobile ne représente qu’un centième du trafic global, qui passe donc encore essentiellement par les réseaux fixes, mais croit de plus de 80% par an. Si ces taux de croissance continuent, le trafic de données mobiles rattrapera, en une dizaine d’années seulement, le trafic de données fixes !
En matière d’usages, actuellement, un phénomène particulièrement marquant est celui de la baisse rapide de la place des réseaux spécifiquement dédiés à la diffusion des médias audiovisuels. Un exemple : pour la première fois, au deuxième trimestre 2014, le visionnage des programmes de télévision s’est fait davantage via les réseaux télécoms (broadband) que via le réseau hertzien terrestre (broadcast). Et il ne s’agit là que du visionnage des programmes linéaires sur les téléviseurs. Si on prend en compte les contenus non linéaires et tous les écrans, ce basculement est encore plus important. Et ce déversement constaté sur les réseaux fixes (ADSL, câble, FTTH) va se poursuivre sur les réseaux mobiles.
Face à ce constat, désormais partagé, on ne peut que se féliciter de la décision prise par le président de la République de demander à l’ARCEP de mener à bien la procédure d’attribution de la bande 700MHz en 2015. J’insisterai toutefois sur un point : comme l’a montré l’attribution de la bande 800MHz, il s’agit d’une procédure extrêmement complexe, où les risques d’échec ou de contentieux sont multiples. Il est donc souhaitable de ne pas déstabiliser, même involontairement, le régulateur dans une telle phase. Il est d’autant plus important de réussir cette opération que ce deuxième dividende numérique permettra d’offrir à l’ensemble de l’économie des moyens nouveaux pour se développer.
Mais attention à ne pas réduire internet et les réseaux de communications électroniques au transport des seuls medias audiovisuels. Ce serait une énorme erreur d’appréciation et de perspective. En effet, le reste du trafic est amené à croître exponentiellement dans les années à venir. Par exemple, la télémédecine et la télé-éducation vont occuper une bande passante considérable et croissante. Il en est de même pour les objets connectés, qui dépasseront les 50 milliards d’unités vers 2025, ce qui pourrait représenter environ 50% du trafic IP en 2030. Les medias audiovisuels, s’ils sont importants, personne ne le conteste, ne représentent donc pas le futur des réseaux de communications électroniques ou d’internet, mais son présent. Dès 2020, donc demain, les autres usages seront largement prépondérants.
Autrement dit, si le futur des medias audiovisuels est incontestablement numérique, le futur du numérique concerne toutes les activités humaines, bien au-delà des seuls medias audiovisuel”.