Stéphane Zibi, directeur du développement et de l’innovation chez Valtech France, agence de marketing pionnière dans les technologies numériques, met en garde contre la frénésie des objets connectés, qui bien souvent ne semblent être, selon lui, que des gadgets. Une fois passée l’excitation des premières utilisations, ils risquent de tomber dans l’indifférence et l’oubli. Nous sommes au sommet de cette courbe d’attentes inflationnistes, prêts à franchir le précipice. La surenchère technologique peut s’avérer fatale à la longue : trop compliquée, trop coûteuse, elle rebute les utilisateurs, estime-t-il.
En janvier dernier, le Consumer Electronics Show de Las Vegas a consacré les objets connectés. Vieille lubie des technophiles, ils sont en passe de profondément transformer notre quotidien dans les années à venir. Force est de constater que leur périmètre s’est accru avec de nouveaux produits et toujours plus de fonctionnalités. Sont concernés la maison, la santé, la voiture, le sport, le fitness, la cuisine…
Tout est potentiellement connectable, tout devient connecté. La course – entre les start-up, les géants du web et les grandes marques – est définitivement lancée. Gartner table d’ailleurs sur plus de 26 milliards d’objets connectés à horizon 2020. Cette frénésie semble se justifier aux vues des attentes du marché. Ainsi, 81 % des Français ont déjà entendu parler des objets connectés selon une enquête CSA pour Havas Media de novembre 2013.
Les objets les plus attrayants sont les voitures (mentionnées à 61 %), les montres (49 %), les réfrigérateurs (48 %), les lunettes et pèse-personnes (38%), les stylos (36%), les bracelets (35%), les vêtements (32%), les chaussures (28%), les brosses à dents (25%), et les fourchettes (19 %). Les consommateurs sont donc plus que prêts à les expérimenter.
Néanmoins, devant la multiplication des produits, il est légitime de se demander si nous ne sommes pas au seuil de « l’explosion de la bulle ». Empiriquement, les innovations technologiques suivent souvent le même modèle d’adoption et de maturation. Il y a d’abord une phase de bouillonnement et d’attentes très (trop) importantes. Viennent ensuite les premières désillusions, les critiques et les faillites. C’est la chute libre. Finalement, après une drastique rationalisation de la technologie, c’est petit à petit que va démarrer son adoption définitive. Or, beaucoup d’objets connectés semblent être une drastique rationalisation de la technologie, c’est petit à petit que va démarrer son adoption définitive. Or, beaucoup d’objets connectés semblent être des gadgets qui, une fois passée l’excitation des premières utilisations, risquent de tomber dans l’indifférence et l’oubli. Nous sommes au sommet de cette courbe d’attentes inflationnistes, prêts à franchir le précipice.
Comment éviter, du moins partiellement, ce réveil difficile ? Comme souvent, c’est la personne ou l’entreprise qui aura réussi à correctement « marketer » l’objet qui sera récompensée par les consommateurs. Et les enjeux sont de taille. Hélas encore parfois négligée, l’expérience utilisateur devra être optimale et la plus personnalisée possible : usages et fonctionnalités pertinents, interfaces agréables et fonctionnelles, design de qualité… Libérer de certaines tâches rébarbatives, fluidifier les transactions et les échanges, instaurer une conversation permanente entre un consommateur et une marque ou encore permettre le développement personnel de l’utilisateur, la valeur ajoutée des objets connectés peut être multiple.
Attention aussi au « syndrome Rafale » ! La surenchère technologique peut s’avérer fatale à la longue : trop compliquée, trop coûteuse, elle rebute les utilisateurs. Par le passé, les produits technologiques les plus vendus comme l’iPhone et l’iPad n’étaient au final qu’un condensé des meilleures technologies disponibles. Aux fabricants de proposer une sélection adéquate et ce, sans oublier la compatibilité
des appareils, des formats, des standards… D’ailleurs, il faut prévenir le risque de cacophonie : quel écosystème numérique entre une montre, une bague, des lunettes, voire des lentilles, un bracelet, un smartphone, une tablette, et la ribambelle d’autres
objets connectés qui va avec ? Il faudra définir des frontières précises entre tous ces objets pour éviter redondance et surabondance de l’information, à l’heure où beaucoup d’utilisateurs cherchent de temps à autre la déconnexion. Enfin, trouver un juste équilibre dans le partage des données est nécessaire.
Si jusqu’ici la majorité d’utilisateurs avait plutôt fermé les yeux, l’actualité est sans cesse là pour nous rappeler qu’il y a un pendant négatif – mais par nature indispensable – aux objets connectés : la collecte des données personnelles. Afin d’éloigner le fantasme de « 1984 », seule une gestion responsable des données personnelles par les entreprises fera tomber le mur de la méfiance.
Stephane Zibi