Couverture ElectroniqueS n°127

L'industrie européenne du circuit imprimé traverse une crise profonde. Pour Hans-Joachim Friedrichkeit, de la société de conseil PCB-Network, son avenir reste très incertain, sauf pour certaines productions de haut de gamme. La disparition d'une grande partie de l'industrie européenne du circuit imprimé est-elle inéluctable ? Au vu du nombre de sociétés en faillite ou se désengageant de leurs activités dans le circuit imprimé, que ce soit en Europe ou aux Etats-Unis, on peut avoir l'impression que ce secteur industriel est actuellement en train de disparaître de ces zones géographiques. Aux Etats-Unis, il y avait encore 709 fabricants de circuits imprimés à la fin 2000. En mars 2003, leur nombre était tombé à 602, soit une baisse de 15 %. D'autres critères sont encore plus significatifs. Ainsi, la production locale en volume y a baissé de 23 %, et le nombre d'emplois est passé de 74 800 à 42 000 en l'espace de 16 mois, soit une diminution de 44 %. En Europe, la consommation de circuits imprimés a diminué de moitié en moins de 3 ans, de 26 millions de mètres carrés à 13 millions. Cette évolution est autant la preuve de variations conjoncturelles que de la tendance à la délocalisation des productions électroniques. En Allemagne, la production de circuits imprimés est passée, en valeur, de 1,46 milliard d'euros en 2000 à 1,3 milliard en 2001, puis à 1,02 milliard en 2002, soit une baisse de 30 % en 2 ans. En France, elle a glissé de 541 millions d'euros en 2000 à 465 millions en 2001 puis à 287 millions en 2002, soit 47 % ! Nous assistons à un déclin dramatique de l'industrie européenne dans ce secteur, et ce déclin perdurera jusqu'à ce qu'on atteigne un nouvel équilibre entre l'offre et la demande sur le Vieux Continent. Selon certaines études, ce processus continuera au moins jusqu'en 2005.Quelles pourraient être les stratégies gagnantes pour les fabricants européens ? Début 1999, j'ai estimé qu'il ne resterait, au maximum, qu'une quinzaine de fabricants de circuits imprimés en Allemagne d'ici 2010. En extrapolant ce chiffre à l'Europe, on arrive à une centaine de fabricants, contre 400 aujourd'hui. Certains ont anticipé ce déclin et ont massivement réorienté leur stratégie de production vers le Sud-Est asiatique, en particulier vers la Chine, ou sont en train de le faire. Pour cela, ils créent des filiales à part entière ou des sociétés communes avec des partenaires locaux. Les fabricants ayant d'autres activités de sous-traitance associées à leur production de circuits imprimés renforcent plutôt leurs investissements dans ces autres activités que dans le circuit imprimé. Il en découle d'ailleurs des difficultés d'approvisionnement en Europe, dans de nombreux domaines. Une stratégie basée sur des sites de production répartis sur plusieurs pays comme le fait l'Autrichien AT&S peut aussi apparaître tout à fait sensée. Cette firme réorganise ses usines européennes vers les filières de l'automobile et de l'industriel et concentre sa production pour les marchés télécoms en Chine. Sans compter une production en Inde dont les exportations sont adaptées géographiquement en fonction des besoins. Par comparaison avec d'autres fabricants européens dont la production n'est que très peu, voire pas du tout “ globale ”, cette stratégie est sûrement plus prometteuse. Mais il faut se demander quels secteurs de l'industrie électronique produiront encore des équipements en Europe d'ici 5 ou 7 ans. Car seuls ces secteurs sont susceptibles de continuer à acheter des circuits imprimés en Europe. Et ce marché européen résiduel, restera-t-il suffisant pour que toutes les unités européennes de production atteignent un taux d'utilisation rentable ? La question reste posée.A quel niveau le Vieux Continent peut-il rester compétitif ? En Europe, les coûts matériaux représentent 30 % à 45 % du prix de revient d'un circuit imprimé et les coûts salariaux 35 % à 45 %. Le pourcentage exact varie selon les technologies et la taille des séries. Mais le circuit imprimé nu ne pèse que 2 % à 5 % dans le coût du produit final. En principe, les services du type prototypage ou fabrication dans des délais très courts, les marchés de l'électronique militaire, ou encore les productions spécialisées, par exemple en haute fréquence, pourraient rester les chasses gardées des fabricants européens. Les firmes véritablement high-tech, dont les fabrications sont à la pointe de la technologie, semblent aussi être à l'abri de la concurrence impitoyable sur les prix. Pour les productions en grandes séries, il ne restera que quelques sociétés très flexibles, capables de répondre à des besoins ponctuels, par exemple pour la montée en puissance d'une production, jusqu'à ce qu'une délocalisation, en Chine ou ailleurs dans le Sud-Est asiatique, devienne complètement opérationnelle. Une production en Europe peut aussi réduire des coûts de logistique, ou encore permettre de reprendre des productions très rapidement lors de catastrophes particulières comme une situation politique critique dans un pays, une épidémie comme le SRAS ou un tremblement de terre.Quels secteurs utilisateurs sont encore fidèles aux fabricants européens de circuits imprimés ? Les fabricants du Sud-Est asiatique ont fait évoluer leur production de circuits imprimés depuis les cartes mères de PC vers les PC portables puis vers les radiotéléphones. Mais même eux gagnent de moins en moins d'argent dans ces secteurs. C'est pourquoi les plus futés visent désormais des niches jusqu'ici réservées aux Européens, par exemple le médical, l'instrumentation, voire l'automobile. Mais les contraintes de sécurité et de fiabilité ou les normes particulières existant dans le secteur automobile, surtout en Europe, freinent encore leur entrée sur ce marché. Le seul secteur où l'on n'a pas encore vu apparaître de fournisseurs asiatiques semble être l'électronique militaire. Partout ailleurs, les importateurs de circuits imprimés ainsi que les fabricants de circuits imprimés ayant leurs propres productions dans le Sud-Est asiatique font en sorte d'ouvrir toutes les portes à la concurrence étrangère.Y a-t-il finalement une solution à la crise de la filière ? D'un côté, la concurrence globale sur les prix et sur les marchés attire les productions vers la Chine. De l'autre, la politique d'externalisation des OEM et le transfert de leurs activités de fabrication et d'assemblage vers les grands sous-traitants détruisent la production européenne. Y a-t-il aujourd'hui une alternative ? Faut-il remettre en question le libéralisme mondial et les principes de l'OMC c'est-à-dire créer une forteresse Europe ? Ou faut-il accepter que l'industrie européenne du circuit imprimé suive le même chemin que celle du textile dans les années 1970 et disparaisse du Vieux Continent ? C'est malheureusement cette dernière évolution qui est la plus probable. Un marché européen continuera donc à exister, mais la production se fera de plus en plus ailleurs !

« Le marché européen existera toujours mais la production viendra d’ailleurs »

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