Couverture ElectroniqueS n°127

Issu du secteur automobile, Jean-Luc Maté (R&D Euripides), est convaincu que l'on peut concurrencer l'Asie en matière de produits « high-tech » bas coût en se concentrant sur l'ingénierie système. Une approche très différente de la démarche chinoise. L'Europe peut-elle encore se battre sur les marchés de grand volume et éviter ainsi les délocalisations ? Jean-Luc Maté : Il est désormais courant d'entendre dire que les délocalisations sont inévitables et que nous ne pouvons plus fabriquer en France. J'estime, pour ma part, que ce n'est pas une fatalité. Nous pouvons très bien, nous aussi, fabriquer à bas coût en Europe de l'Ouest et être présents sur des marchés de grand volume. Nous devons pour cela apprendre à transformer des produits « high-tech » au coût de revient élevé en produits « high-tech » à bas coût. L'objectif pour des produits avec un fort contenu électronique et mécatronique est de parvenir à abaisser ce coût de plus de la moitié par rapport à celui du produit « high-tech » d'origine. Renault a réussi à le faire dans le domaine de l'automobile avec la Logan en partant du constat qu'il y avait une demande importante pour les véhicules d'entrée de gamme, non seulement dans les pays émergents, mais aussi en Europe de l'Ouest. Renault a inventé un nouveau concept de véhicule pour des consommateurs qui ne souhaitent pas dépenser plus de 5 000 à 8 000 euros dans l'achat d'un véhicule neuf du type berline familiale, sans concession sur la consommation et la sécurité. Comment les Européens peuvent-ils réussir cette transformation vers le « high-tech » à bas coût ? Jean-Luc Maté : Pour créer un produit « high-tech » à bas coût, il faut complètement revisiter l'ingénierie système de la fonction elle-même et sa synthèse au niveau électronique (matériel et logiciel), électrique, mécanique et mécatronique. Il faut se demander quel est le prix plancher atteignable à un instant donné avec les technologies les plus avancées et matures. En ayant recours à un très haut niveau d'intégration, notamment avec des systèmes sur puce (SoC) et des assemblages hétérogènes (more than Moore), il est alors possible d'utiliser moins de composants pour une même fonction et, grâce à l'effet volume, de diminuer son coût de revient. Il faut, enfin, produire de façon très automatisée de manière à ce que le coût de main-d'&oelig;uvre reste bien inférieur à 3 % du coût total de fabrication. Si toutes ces conditions sont réunies, il sera possible d'assurer une production en grand volume en Europe de l'Ouest. Utilisons donc suffisamment les investissements de plates-formes multisectorielles dans les domaines de l'automobile, l'aéronautique et la défense pour abaisser le niveau de risque. De la qualité des équipes de R&D et des experts multimétiers dépendra le succès, de la mise sur le marché de tels produits qui pourront, grâce aux volumes, être amortis en moins de deux ans et qui, compte tenu du nombre réduit de composants utilisés et du haut niveau d'intégration, sont plus fiables et moins exposés à la copie, le reverse engineering étant plus difficile. Quels produits « high-tech » à bas coût pourraient émerger en Europe au cours des prochaines années ? Jean-Luc Maté : Ma conviction est que nous avons les moyens d'être présents sur tous les marchés professionnels où l'Europe a su conserver un leadership stratégique, notamment le secteur industriel, les télécoms, l'automobile, le secteur médical et la sécurité. Mais certains produits doivent impérativement voir leur coût de revient baisser pour qu'ils puissent générer des marchés de grand volume. C'est par exemple le cas du véhicule hybride dont la pénétration sur le marché est bloquée, essentiellement par le facteur coût. Le seul moyen d'y remédier serait de faire en sorte que des équipes pluridisciplinaires coopèrent et qu'elles puissent définir une solution quasi-standard, multi-constructeur et abordable pour le grand public. Les programmes de R&D coopératifs peuvent-ils contribuer à cette démarche ? Jean-Luc Maté : C'est une de leur mission. Dans le travail collaboratif de ces programmes, l'ingénierie système et la synthèse technologique sont des thématiques majeures. Euripides, qui associe plusieurs disciplines, notamment les microsystèmes et les technologies d'assemblage et de packaging, Itea2, qui porte sur les logiciels embarqués, et Medea+, dans le domaine de la microélectronique, apportent une forte contribution à cette démarche si l'on met à profit conjointement les différents travaux issus de ces plates-formes. L'avantage d'un projet Eureka pour les industriels, c'est de parvenir au stade de la faisabilité en seulement 12 à 18 mois.

« Il est possible de fabriquer à bas coût en Europe de l’Ouest »

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