Couverture ElectroniqueS n°127

Soumise aux contraintes de la concurrence, la conception d'un circuit intégré complexe passe obligatoirement par la case propriété intellectuelle (IP). Fournisseurs d'IP et concepteurs de circuits ont un même but : obtenir rapidement une puce qui marche et qui sache garder son secret. Dans l'absolu, la protection de ce secret n'a pas de prix. Dans la réalité, chacun lui attribue une valeur différente. Aujourd'hui, un même silicium peut accueillir plusieurs millions de transistors comprenant l'ensemble des fonctions d'un système intégré sur une puce.Cette complexité croissante doit être gérée dans des temps de développement toujours plus courts pour satisfaire des marchés hautement concurrentiels. Face à ce contexte, le moyen le plus efficace est la réutilisation de conception existante, plus largement appelée emploi de la propriété intellectuelle ou IP (Intellectual property). Celle-ci se présente sous la forme de blocs IP, matériels (hard) ou logiciels (soft), implantant toute une gamme de fonctions indispensables dans un circuit intégré, telles que des c&oelig;urs de microprocesseur, des périphériques d'entrée/sortie, voire des interfaces de communication standard comme PCI ou USB. L'objectif premier de ces blocs de propriété intellectuelle est de permettre aux concepteurs de réduire le temps de conception des circuits intégrés complexes.Et, pour que la réutilisation soit un succès, il faut que le bloc IP soit facilement accessible et intégrable.Sur ce marché de la propriété intellectuelle, de nombreuses sociétés ont mis en &oelig;uvre des bibliothèques de fonctions, ainsi que les outils associés pouvant être partagés par tous les concepteurs. Mais comment protéger le secret de cette propriété intellectuelle disséminée dans tant de puces autour du monde ? Comment garantir les droits de ces fournisseurs d'IP ?Deux types de protection sont envisageables : une protection technique généralement basée sur des mécanismes de cryptage et une protection légale reposant sur un contrat juridique. Avant de rapporter les propos des experts en micro-électronique, majoritaires lors de cette table ronde, il semble opportun d'écouter l'avis du seul représentant de la partie juridique. En effet, Frédéric Gaillarde, ingénieur de formation, travaille pour le cabinet Germain & Maureau, spécialisé dans le conseil en propriété intellectuelle. Avant tout, une petite mise au point sur la notion de propriété intellectuelle semble nécessaire dans le contexte de l'intégration de circuits : l'IP est en général associée à la notion d'innovation, mais s'applique également dans le cas de la réutilisation de conception. « Il y a propriété intellectuelle dès qu'il y a création de valeur ajoutée, c'est-à-dire toute amélioration ou innovation qui peut vous différencier de vos concurrents. » Que les blocs IP soient hard ou soft, il existe ainsi tout un arsenal légal, comprenant le copyright, le brevet et la protection topographique du circuit, qui vient en complément des procédures techniques d'encryptage.« L'aspect légal se matérialise sous la forme d'un contrat de licence signé par les deux parties et qui établit les conditions financières, ainsi que celles d'emploi de l'IP. »Comment se protéger de l'« overbuilding »Pour Jacques Le Beguec, cette inflation légale est un effet pervers de la protection des IP. Il déplore en effet les discussions interminables où le client veut se protéger contre toutes les possibilités de violation de propriété intellectuelle, réclamant une garantie illimitée dans le temps, pour des sommes astronomiques.Ce type de garantie à chéquier ouvert n'existant pas, de longues négociations sont à craindre. Pour le fournisseur, le montant idéal de cette assurance doit être de l'ordre de grandeur de la valeur de la licence acquittée par l'acquéreur.Finalement, on pourrait s'inquiéter de l'impact que peuvent avoir ces longues tractations légales et commerciales sur le coût réel de la propriété intellectuelle. « C'est vraiment du cas par cas, constate Paul Schoukroun (Synopsys).Le développement du circuit a souvent commencé avant la fin des négociations, si celles-ci durent plusieurs mois. »Arnaud Schleich remarque toutefois, sans ironie, que quand le deal ne se fait pas, le coût est le plus élevé !A ce point, la discussion s'oriente tout naturellement vers l'« overbuilding » : ce délit a lieu quand une fonderie fabrique plus de circuits que ceux commandés et vend ces puces supplémentaires, bien sûr sans l'autorisation du concepteur. Officiellement, ce fait serait plutôt rare. Dans la réalité, il serait très fréquent. Il arrive même que le circuit volé soit sur le marché avant le produit original. Patrizio Piasentin affirme que des sociétés viennent vers Actel après avoir été échaudées par ce genre de pratique, afin d'y trouver des réponses en termes de sécurité. Pour y répondre, chaque FPGA fabriqué, non programmé, intègre une clé qui lui est spécifique. Ainsi, seul ce composant avec cette clé pourra accepter un fichier de configuration. C'est une manière de compter les pièces. Evidemment, cette technique est propre à la logique programmable et ne peut s'appliquer aux Asic. Dans ce cas, il existe le watermarking (insertion d'un tampon caché sur un masque ; « watermark » signifie filigrane), signale Pierre Bricaud. « Tout est une question de modèle économique, note-t-il, si les royalties représentent 1 % du revenu, on ne va pas s'en préoccuper beaucoup. » Ses collègues autour de la table sont d'accord avec lui pour dire que l'alerte est donnée seulement quand le délit commercial est flagrant.Eric Lalardie donne un exemple imagé : « Quand on voit une société, avec des parts importantes sur un marché, qui utilise pertinemment une IP qu'on connaît vraiment très bien et qu'il n'y a pas de royalties qui rentrent, là on sait que c'est louche ! »Selon Andreas Wild la situation se résume en ces termes : dans ce contexte, finalement, on ne peut que constater qu'il est impossible de déterminer la valeur absolue d'un bloc IP ou de fixer la valeur d'un brevet à lui appliquer. Ce n'est pas un problème de compte exact ; c'est un business de confiance et de récompense attendue et obtenue, ou pas.(1) Pour une description complète de cette technologie de cryptage, voir Electronique de janvier 2007, p. 36.(2) L'organisme VSIA (VSI Alliance) a cessé ses activités depuis le mois de juillet 2007.(3) Méthode de cryptage symétrique basée soit sur une clé alphabétique à seize caractères, soit sur une clé hexadécimale de 128 bits.(4) Loi fédérale américaine de 2002, portant sur la réforme de la comptabilité des sociétés cotées et la protection des investisseurs, qui impose des règles sur la comptabilité et la transparence financière.

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