La société française a levé 90 millions d’euros pour poursuivre le développement de processeurs optimisés pour le calcul haute performance, dont les premiers exemplaires sont attendus début 2024.
« Arm investit rarement dans des sociétés extérieures, a fortiori en ce moment, juste avant de se lancer en Bourse », souligne avec fierté Philippe Notton, le CEO et fondateur de SiPearl. Le leader mondial des cœurs de processeurs a pourtant mis la main au porte-monnaie lors du premier tour de table financier opéré par SiPearl, qui jusqu’ici vivait de fonds publics européens et franciliens. Le Français, qui développe actuellement un processeur à basse consommation spécialement conçu pour les supercalculateurs exascale, y a récolté pas moins de 90 millions d’euros. Outre Arm, le fonds EIC (European Innovation Council), l’Etat français via French Tech Souveraineté qui s’inscrit dans le cadre de France 2030 et, dans une moindre mesure, la branche Eviden du groupe Atos ont mis au pot. Le financement inclut également jusqu’à 25 M€ d’obligations convertibles souscrites par la Banque européenne d’investissement (BEI). D’autres investisseurs devraient rejoindre le tour de table d’ici la fin de l’année, en attendant, d’ici deux ans environ, une deuxième levée de fonds qui pourrait grimper à 200 ou 250 millions d’euros.
Ouvert aux coprocesseurs du marché
Ces sommes inhabituelles dans la microélectronique européenne, pour ce qui reste après tout une start-up, ont été rendues possibles par le caractère stratégique de SiPearl. A l’heure où se multiplient les applications des supercalculateurs (recherche médicale, simulation climatique, gestion de smart grid, regain d’activités militaires, cybersécurité, intelligence artificielle…), il est essentiel que l’Europe ne se retrouve pas sur le bas-côté en matière de calcul haute performance. Sous l’impulsion de l’initiative européenne EuroHPC créée en 2018, c’est toute une chaine d’approvisionnement européenne qui se mobilise autour du supercalcul, à commencer par les processeurs utilisés qui, pour l’heure, sont tous américains. C’est dans ce cadre que SiPearl conçoit Rhea, un processeur de première génération comportant pas moins de 60 milliards de transistors, et deux atouts majeurs. Le premier réside dans sa spécialisation en traitement HPC, là où les leaders Intel et AMD déclinent des architectures existantes développées initialement pour les ordinateurs et les serveurs de données. « Les seuls autres processeurs vraiment dédiés HPC du marché sont ceux de Fujitsu, mais ces derniers reposent sur une architecture propriétaire », rappelle Philippe Notton. Autre avantage de Rhea : il a été conçu dès le départ pour s’acoquiner avec des coprocesseurs dédiés disponibles sur le marché, qu’ils s’agissent de processeurs graphiques ou de moteurs IA fournis par Nvidia, AMD, Intel ou Graphcore avec lesquels SiPearl a déjà signé des accords de collaboration. Ou, à l’avenir, avec des accélérateurs quantiques… Une ouverture essentielle aux yeux des clients potentiels de SiPearl, dont le leader américain Hewlett Packard Enterprise (HPE), qui exploite une usine en République Tchèque, et Atos, tous deux partenaires de SiPearl. Ces clients seront d’abord, dans le cadre de l’initiative EuroHPC, présents sur un marché européen estimé à huit milliards d’euros. Mais la société ne compte pas en rester là et avoue avoir entamé « des discussions intéressantes en Inde » et prévoir « des opportunités sur le marché japonais car Fujitsu, qui ne dispose pas de technologie GPU, se recentre sur les serveurs de données ».
Objectif : mille salariés en 2025
Les 110,5 millions d’euros levés depuis la création de SiPearl vont servir cette ambition. Il s’agit tout d’abord de recruter, et massivement : de 130 aujourd’hui, les effectifs devraient augmenter de 160 environ cette année, et atteindre les mille salariés d’ici 2025. « On retrouve au sein de SiPearl beaucoup d’anciens de STMicroelectronics, Texas Instruments, Intel ou encore Nokia ; c’est parfois un défi de leur faire quitter un grand groupe, mais les ingénieurs apprécient de travailler sur des projets aussi novateurs », explique Philippe Notton. S’ajoutent à cela le coût non négligeable des licences de logiciels de CAO (notamment Synopsys pour la conception, Siemens Digital Industries Software pour l’émulation et Ansys pour la validation thermique) ; les moyens informatiques incluant le data center privé de SiPearl qui n’a pas voulu recourir à un cloud non-européen ; les phases d’échantillonnage et de lancement de la production des circuits avec TSMC ; et, bien sûr, le développement commercial et marketing qui suivra. « Nous estimons qu’il faut environ 150 M€ pour lancer une telle puce. C’est hors de portée d’une start-up qui n’aurait pas bénéficié d’appuis au niveau non seulement national mais européen… mais c’est moitié moins que si nous avions dû tout concevoir de A à Z, sans nous appuyer sur les cœurs Arm et leur environnement logiciel existant », précise Philippe Notton. Cet appui des institutions européennes pallie les manques du Vieux Continent au niveau financier, où banques et investisseurs privés sont peu enclins à miser sur de telles entreprises deep tech qui réclament des fonds énormes et beaucoup de temps avant de pouvoir présenter des produits tangibles. La même frilosité explique que SiPearl compte attendre patiemment son heure avant de se lancer en Bourse – sur Euronext, évidemment.