DÈS LA MI-2020, ACSIEL ALERTAIT LES FILIÈRES AVAL (CONSOMMATRICES DE COMPOSANTS) SUR LES TENSIONS D'APPROVISIONNEMENT PERCEPTIBLES EN ASIE, SANS TOUJOURS ÊTRE ENTENDUE, L'ÉCONOMIE OCCIDENTALE ÉTANT PLONGÉE DANS UNE CRISE SANITAIRE QUI DONNAIT ALORS DES SIGNAUX CONTRAIRES.
Acsiel Alliance Electronique, l'organisation professionnelle de l'industrie des composants électroniques et des équipements et consommables pour l'assemblage des cartes électroniques, publie sur son site internet, sous le titre « Mieux comprendre les phénomènes de pénurie des composants électroniques », des réponses détaillées aux nombreuses sollicitations reçues pour décoder les causes de la pénurie des composants qui affecte une large partie de l'économie mondiale et à laquelle la France n'échappe pas. L'électronique, en étant au cœur de toutes les applications professionnelles et grand public, est devenue une industrie stratégique pour l'indépendance économique de notre pays. Pourtant, les mécanismes qui gouvernent ce secteur de haute technologie sont souvent difficiles à appréhender et méritent un éclairage particulier. Aussi, Acsiel propose d'identifier les causes qui se sont superposées pour conduire à la situation actuelle, mais aussi de trouver quelques pistes de réponses pour faire face à une crise mondiale qui risque de durer et d'être récurrente.
Dès le milieu de l'année 2020, Acsiel alertait les filières aval sur les tensions d'approvisionnement perceptibles en Asie, sans toujours être entendue ; l'économie occidentale était plongée dans une crise sanitaire qui donnait alors des signaux contraires. Acsiel déclare qu'il convient donc de mobiliser les différents intervenants pour, certes, résoudre les problèmes à court terme, mais aussi mieux structurer l'industrie afin qu'elle devienne plus résiliente lors de prochaines tensions mondiales. Dans le document publié sur son site internet, Acsiel a souhaité communiquer à ses partenaires, ainsi qu'à l'ensemble des filières en aval, plusieurs éléments explicatifs de la pénurie actuelle de compo-sants et de ses conséquences sur les approvisionnements chez les donneurs d'ordres, et elle propose quelques idées de solutions à court terme.
PLUSIEURS FAMILLES DE COMPOSANTS
Le syndicat professionnel rappelle notamment que plusieurs familles sont regroupées sous le vocable « composants électroniques » : composants actifs (semi-conducteurs), composants passifs (inductances, condensateurs, résistances), composants électromécaniques (claviers, relais, contacteurs, convertisseurs, oscillateurs, etc.), circuits imprimés (PCB) et connecteurs. Chacune de ces grandes familles présente des spécificités technologiques (matières premières, mutations technologiques), économiques (marchés prédominants, concurrence internationale) et industrielles (niveaux d'investissement et de rentabilité, localisations des sites de production) qui requièrent une analyse différenciée dans la recherche des causes de pénuries. Mais ces familles de composants sont également soumises à des facteurs communs devant l'émergence et les mutations profondes de certains marchés (véhicule électrique, santé, industrie des loisirs) susceptibles de bouleverser les mix-produits (nouvelles technologies impliquant des transferts de production, des phases de qualification, etc.), et face à des phénomènes géopolitiques ou climatiques (Brexit, tremblements de terre, etc.) qui peuvent affecter la chaîne de production mais également la logistique. Il faut donc éviter de globaliser les analyses et les stratégies devant une telle diversité de facteurs, souligne Acsiel.
L'industrie des composants nécessite une innovation de forte intensité, souvent sollicitée par des applications grand public de gros volumes, qui conduit à des montées en cadence difficiles à anticiper.
UNE CRISE MONDIALE ET CYCLIQUE
Si cette crise est particulièrement visible, c'est qu'elle présente un effet cumulatif rarement atteint. Connue pour être une industrie structurellement cyclique avec des investissements lourds, en particulier dans le secteur des semi-conducteurs, qui rendent difficile une bonne adéqua-tion permanente entre offre et demande, elle nécessite une innovation de forte intensité, souvent sollicitée par des applications grand public de gros volumes, qui conduit à des montées en cadence de plus en plus rapides et difficiles à anticiper (avec des critères de « time-to-market » de plus en plus exigeants). Cela implique des changements rapides de mix-produits et mix-technologies et la prolifération de produits dédiés difficilement interchangeables qui exigent des équipements, voire des usines différentes. Elle est enfin caractérisée par une obsolescence accélérée de technologies matures pour des marchés à forts volumes et cycles de vie courts. Cette obsolescence est destinée à reconvertir les capacités vers des technologies plus fines pour servir des marchés plus porteurs (5G, jeux vidéo, PC). Cette tendance dessert certains marchés, dont l'automobile qui travaille sur des cycles de vie beaucoup plus longs.
Ensuite, cette industrie fait face à un contexte international particulier. Dans le secteur de l'électronique, la situation géopolitique est, en effet, rendue incertaine par le bras de fer entre la Chine et les États-Unis. Cette escalade diplomatique et économique est susceptible d'altérer la nature des rapports internationaux et de changer le cours de la mondialisation. La Chine se trouve confortée dans son objectif d'autosuffisance technologique sur 70 % des composants et matériaux clés à l'horizon 2025, ce qui remettra nécessairement en cause les équilibres actuels, sans qu'il soit possible de quantifier aujourd'hui les impacts que cette situation pourra avoir sur le marché mondial.
L'économie chinoise est de plus en plus prépondérante. La prévision de croissance en Chine se situe entre 7 et 10 % en 2021. Ce pays fabrique une voiture sur trois à travers le monde et connaît une augmentation exceptionnelle des ventes de véhicules : + 25,7 % en 2020 par rapport à l'année précédente. Au 4 e trimestre 2020, l'économie en Chine a redémarré beaucoup plus fortement qu'en Europe, les clients chinois intensifiant la demande et plaçant des commandes supplémentaires pour anticiper les productions avant le nouvel an chinois.
Le Covid-19, conjugué au Brexit, a des impacts importants sur la logistique. Beaucoup de délais de livraison ont été considérablement rallongés : transferts par avions remplacés par des transferts par bateaux, plateformes saturées, blocages en douanes de certains pays. Ces difficultés logistiques sont accentuées par les fluctuations imprévues, à court terme et exponentielles de la demande.
Loin de n'avoir que des effets négatifs sur l'industrie, la crise sanitaire a contribué à booster les ventes d'ordinateurs, de tablettes, téléphones, jeux vidéo et équipements de santé, très consommateurs de composants de dernière génération et dont l'assemblage est majoritairement réalisé en Asie.
Le recours au modèle fabless de plusieurs fabricants de semi-conducteurs a concentré des productions de forts volumes auprès de fonderies.
De plus, une crise des matières premières s'est installée depuis le 2 nd semestre 2020 et s'amplifie. Elle est marquée par de très fortes tensions dans l'approvisionnement et des hausses importantes de prix que les fabricants de composants et systèmes d'interconnexion (connecteurs et circuits imprimés) ont subi dès la seconde moitié de 2020 sans pouvoir toujours les répercuter immédiatement : + 30 % sur le cuivre, + 22 % sur l'aluminium, et des hausses similaires sur les thermoplastiques et autres matériaux de bases (produits chimiques, leadframes, etc.). Le Sycabel, l'organisation professionnelle de l'industrie des fils et câbles électriques et de communication, vient de lancer la même alerte à propos des tensions actuelles sur les matières premières des câbles et les importantes hausses de prix affectant ce secteur.
Au fil des années, le marché des semi-conducteurs s'est concentré sur quelques applications dominantes et acteurs majeurs. Désormais, les marchés industriels et automobile représentent, ensemble, 70 % de la consommation européenne, mais moins de 30 % des ventes au plan mondial.
Le recours au modèle fabless de plusieurs fabricants de semi-conducteurs a concentré des productions de forts volumes auprès d'un nombre restreint de sous-traitants dénommés « foundries » (fonderies) – Samsung, TSMC, GlobalFoundries étant les plus connues –, créant un goulot d'étranglement, une dépendance accrue et une complexité de plus dans la chaîne de valeur. Les modèles de plus en plus complexes de la supply-chain ont des effets négatifs dans la propagation des signaux entre les différents acteurs : donneurs d'ordre, sous-traitants, distributeurs, fabricants de composants et leurs fournisseurs en amont. Cela conduit in fine pour les fabricants de composants à une absence de visibilité sur les besoins réels et sur la destination finale des pièces livrées.
Une cause majeure des difficultés logistiques actuelles provient des fluctuations imprévues, à court terme et exponentielles de la demande (par exemple, les stocks se sont significativement réduits durant les 2 e et 3 e trimestres 2020 et les commandes ont fortement repris en septembre 2020 sans que les demandeurs n'aient adressé de prévisions préalables correspondant à leurs besoins effectifs). Les fabricants de composants doivent également intégrer cette visibilité changeante et incertaine dans leurs processus de fabrication à temps de cycles longs de plusieurs mois (2 à 6 mois pour les semi-conducteurs).
Il faut aussi prendre en compte des phénomènes climatiques inattendus. Les flux logistiques, mais aussi parfois certains sites industriels, sont sévèrement impactés par ces aléas climatiques : chutes de neige exceptionnelles aux États-Unis, tremblements de terre et manque d'eau à Taiwan, inondations dans le nord du Japon.
À tous ces facteurs s'ajoute une activité très contrastée en 2020. Les très fortes demandes générées par les marchés des PC domestiques et de la montée en puissance des infrastructures télécoms les ont naturellement conduits à satisfaire ces besoins au détriment d'une demande très affaiblie, voire nulle, venant d'autres secteurs applicatifs. Ainsi, plusieurs fabricants asiatiques de composants ont dû réorienter des lignes de fabrication de semi-conducteurs jusqu'alors dédiées à des applications spécifiques, dont la demande est en forte baisse, vers ces marchés en volume, accentuant le problème actuel de pénurie de composants pour de telles applications. Les donneurs d'ordres européens, plus particulièrement sur le marché automobile, ont été les premiers impactés par ces décisions.
Par ailleurs, pour certaines familles de composants, les annulations de commandes massives émanant des secteurs en crise ont incité les fabricants de composants à réduire leurs capacités de production et leurs effectifs dans certains pays, et à détourner les stocks dormants vers d'autres marchés plus porteurs. Un redémarrage implique aujourd'hui l'embauche et la formation de nouveaux salariés, donc un retour progressif aux capacités de production d'avant la crise, sans aucune certitude sur l'ampleur durable de cette reprise.
Dans un jeu concurrentiel classique en cas de crise d'approvisionnement, certains donneurs d'ordre contribuent à la pénurie en ne baissant pas sciemment leurs besoins. À la situation de stop & go des commandes, se superpose un phénomène connu en période de pénurie de sécurisation des stocks. Cela se traduit par un gonflement artificiel des besoins exprimés, lesquels feront l'objet d'annulations ultérieures lorsque la crise sera résorbée.
ACSIEL PRÉCONISE DE FLUIDIFIER LA SUPPLY-CHAIN
Acsiel préconise une panoplie de solutions pour amortir les effets de la crise et fluidifier la supply-chain : adopter, pour chaque famille de composants électroniques, une stratégie d'approvisionnement différenciée qui prenne en compte ses spécificités ; assurer une veille technologique pour identifier les composants à risque et anticiper les obsolescences de composants ; renforcer les collaborations stratégiques et accroître la visibilité entre les différents acteurs ; identifier tous les stocks dormants de composants chez les équipementiers et sous-traitants et organiser des dépannages éventuels entre équipementiers ; envisager des dérogations possibles sur certains lots sans compromettre la qualité ou des qualifications accélérées de composants « double source » assurant les mêmes fonctionnalités ; accepter les contraintes induites par la loi de l'offre et de la demande, en particulier concernant l'adaptation des prix et conditions de paiement, nécessaires pour sécuriser les allocations de capacité et la prise en charge des surcoûts liés aux livraisons urgentes ; transformer en commandes fermes la demande sur une période de 3 à 6 mois et étendre la visibilité sur 12 à 18 mois pendant la crise, déroger aux conditions standard de stock de consignation et de flux tendu pour permettre une facturation immédiate des lots livrés ; rester prudent face aux sollicitations croissantes de sources alternatives d'approvisionnement, autres que les circuits de distribution franchisés, susceptibles d'offrir des composants non qualifiés, voire contrefaits, qui in fine seront vendus plus chers avec des risques difficiles à appréhender.
L'obsolescence des composants est destinée à reconvertir les capacités vers des technologies plus fines pour servir des marchés très porteurs, au détriment de marchés à cycles de vie relativement longs, comme l'automobile.
Acsiel propose ensuite de bâtir une stratégie d'achat et de partenariat. Comme pour le secteur emblématique de la santé, se pose la question de capacités suffisantes en France et en Europe pour mieux servir notre industrie locale. Toutefois il faut avant tout soutenir le tissu industriel existant, s'intéresser à la bonne utilisation des capacités disponibles localement et ne pas sous-estimer leurs avantages compétitifs en considérant le total cost of ownership (coût total de possession) qui consiste à prendre en compte tous les coûts de revient en évitant de privilégier les appro-visionnements aux prix les plus bas qui se révèlent souvent les plus fragiles en termes d'indépendance économique et de sécurité d'approvisionnement.
Les premières alertes sur les tensions perceptibles sur le marché ont été lancées dès le mois de juin 2020. Devant la situation devenue particulièrement critique, Acsiel a co-signé en novembre dernier un communiqué avec le SPDEI, le Snese et la Fieec pour alerter l'industrie française sur l'urgence à réagir et à positionner des commandes. Or, ce message n'a pas toujours été entendu, estime l'organisation professionnelle.
Face à la crise généralisée depuis le début d'année, Acsiel a sensibilisé ses adhérents et relayé le message des pouvoirs publics sur l'urgence à soutenir les industriels français et les constructeurs automobiles en particulier. Le syndicat souhaite coopérer avec les filières aval, en particulier avec les représentants de la filière automobile, pour revisiter les modes opérationnels en vigueur qui sont souvent calqués sur ceux de composants plus classiques, mais mal adaptés aux spécifi-cités de l'industrie électronique. Depuis le début de la crise sani-taire il y a un an – origine de ce dérèglement mondial –, les fabricants de composants, dont les bases industrielles sont majo-ritairement situées en dehors de l'Europe, ont dû s'adapter à une demande très contrastée d'un marché applicatif à l'autre. Ils sont tous engagés pour suivre la demande du marché à plusieurs niveaux : sécurisation de leurs propres approvisionnements puisqu'ils sont eux-mêmes confrontés à des pénuries de matières premières ; mise en place de programmes d'allocation de capacités de production qui prennent en compte, dans la mesure du possible, les priorités les plus immédiates parmi les demandes de leurs clients ; optimisation des capacités de production en place pour en augmenter la productivité ; investissements dans de nouvelles lignes de production, souvent eux-mêmes contraints par des délais importants dans l'acquisition de nouveaux équipements.
Tous les adhérents d'Acsiel s'accordent pour recommander de s'adresser aux services commerciaux afin de gérer les problèmes de livraison et d'éviter les actions directes auprès des usines qui sont sources de désorganisation et ne garantissent pas que l'interlocuteur soit motivé par la résolution du problème.
UN CONTRAT SIGNÉ AVEC L'ÉTAT
Des actions de fond organisées sur neuf axes ont été actées dans un contrat signé avec l'État : maîtriser les technologies clés par l'innovation, accélérer l'industrie électronique du futur, diffuser l'électronique dans le cadre de la transformation numérique des entreprises, adapter la formation, les compétences et les emplois aux besoins de l'industrie, se projeter et agir à l'échelle européenne et se projeter à l'international, faire de l'intelligence artificielle un projet structurant de la filière, contribuer aux objectifs environnementaux de l'économie et des filières aval, coopérer au sein de la chaîne de valeur électronique et avec les filières aval, relancer et renforcer la résilience de la filière et de l'économie.
Pour sa part, l'Europe, avec le soutien des États membres, a aussi clairement inscrit l'électronique parmi ses priorités avec des plans ambitieux de financement de programmes de R&D et d'industrialisation, notamment au travers de programmes IPCEI (Important Project of Common European Interest).